Chronique

Darrifourcq, Hermia, Ceccaldi

Kaiju Eats Cheeseburgers

Sylvain Darrifourcq (dm), Manuel Hermia (ts), Valentin Ceccaldi (cello)

Label / Distribution : Full Rhizome

Ce trio nous propose un album résolument original. Par bien des aspects, les codes ne sont pas respectés. Des pièces comme brisées, des cavalcades interrompues, des cassures fréquentes, des crépitements rageurs, des lambeaux de phrases esquissant un thème ou rappelant un standard d’autrefois.
Des thèmes ? Pas vraiment, mais des figures, souvent nerveuses, insistantes, mais où prime parfois une sorte de stase onirique, des séquences dont on ne peut s’échapper, distillant cet entre-deux d’étrangeté et de fascination.

Dans « Disruption » par exemple (Manuel Hermia), un choc répété, une forme de tocsin, des brouillards de cordes, des feulements métalliques, une roue qui tourne sans but, et un souffle qui sussure une mélopée d’ailleurs, des grondements graves, une respiration mélodique calme. Ce qu’il faut bien appeler un chant s’amplifie, dans des ressacs sableux, avec des répétitions de cordes pincées obsédantes. Un paysage est installé. La poésie est là, elle ne vous lâchera pas.
On reste dans ces bouffées oniriques dans d’autres pièces, en particulier sur la dernière pièce, « Collapse In Sportwear » (Sylvain Darrifourcq).

Cependant, avec « Bye Bye Charbon » (Valentin Ceccaldi), on pourrait penser retrouver un semblant de normalité jazzistique… baignant dans un chaos. De grands coups d’archets dissonants, rageurs, des roulements percussifs, un sax qui fait thème sans qu’on s’en rende compte, puis une figure répétitive aux cordes, des crépitements aux baguettes, et lorsque le sax s’envole, lorsque des repères s’installent, ça se dérègle, les grands coups d’archet reviennent, les crépitements se font intenses. Cela s’arrête brutalement, puis repart, dans une orgie.
« Kaiju Eats Cheeseburgers », le premier thème, présente ce double aspect, une musique comme déchiquetée, faite d’éclats qui font repères, de répétitions obsessionnelles, d’éruptions, de friselis, et de pures échappées poétiques formant l’arche centrale avant la fournaise finale.
C’est ainsi qu’opère ce trio. Chacun apporte ses couleurs, ses rêves instables, mais en lieu et place de composition, c’est un assemblage de figures qui vient dérouler ses paysages insolites. On ne peut dire si c’est préconçu ou non, on imagine bien que oui tant l’unité onirique est puissante, tant la trajectoire semble précise, inéluctable, tant l’alchimie infernale s’épanouit.

Sylvain Darrifoucq, Manuel Hermia, Valentin Ceccaldi nous inventent un discours radicalement neuf, en nous laissant des cailloux blancs pour nous y retrouver, au moins un peu, l’humour en embuscade.

PS : Pourquoi ce titre d’album ?
« On aime beaucoup cette image un peu stupide entre la démesure légendaire du Kaiju (monstre japonais) et le prosaïque commercial du cheeseburger » (S. Darrifourcq)

par Guy Sitruk // Publié le 13 septembre 2020
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