Chronique

David Chevallier

Dowland - A Game of Mirrors

David Chevallier (g), Bruno Helstroffer (théorbe), Anne Magouët (voc)

Label / Distribution : Carpe diem

Même si la vie de John Dowland est moins ténébreuse que celle, entourée de mystère, de Carlo Gesualdo, il demeure des zones d’ombre qui donnent à ses chansons une beauté sulfureuse, encore présente en dépit des siècles qui nous séparent de « Flow My Tears » : un titre qui a marqué la musique anglaise jusqu’aux plus pop de ses sujets, puisque Sting l’interpréta. Ici, la soprano Anne Magouët l’habite avec la douceur qui a toujours marqué ses interprétations. Autour d’elle, point de luths ni de violes. D’autres cordes : celles du théorbe de Bruno Helstroffer et du guitariste David Chevallier, à l’origine de ce Dowland – A Game of Mirrors. Le « jeu de miroirs » est simple et n’a rien de déformant. Il se situe entre deux siècles, deux traditions d’improvisation : le jazz et le baroque. La musique ancienne, en son miroir, renvoie une belle image de modernité.

Enregistré à l’Abbaye de Noirlac tout comme le Monteverdi - A Trace of Grace de Michel Godard, où l’on retrouvait déjà Helstroffer, ce disque est une conversation sans fin. Il y a un point commun entre les deux œuvres, toutes deux parues sur le label Carpe Diem : une sorte de beauté solaire portée par une voix qui s’agrippe aux vieilles pierres de l’abbaye cistercienne. La déconstruction patiente qui marque ce Dowland montre tous les chemins possibles sur lesquels théorbe et guitare acoustique peuvent s’harmoniser, parfois dans la plus stricte observance comme sur ce « Clear or Cloudy » limpide comme le verre. La transparence du miroir, ou peu s’en faut. Souvent c’est Chevallier qui apporte un regard différent : un vent de blues venu d’un sud chimérique qui donne à « All Ye, Whom Love or Fortune » une ambiance torride très particulière, une échappée pleine de poésie qui transforme « Can She Excuse » en une élégante chanson pop qui aurait traversé le temps à rebours. Direction Canterbury, pas de bagages requis. Il suffit de se laisser porter par le charme onirique des poèmes.

La recette de David Chevallier est désormais familière, il nous en confiait le secret lors d’une récente interview : c’est un gigantesque Meccano au sein duquel ses propres pièces s’imbriquent dans le répertoire qu’il explore, et qui conserve la silhouette sans reproduire la forme à l’identique. Ici, plus que dans Gesualdo Variations ou lorsqu’il revisite les standards, il y a une part d’intime, très bien traduite par la simplicité du trio. C’est un double coup de foudre, pour le théorbe dont il joue désormais, tout d’abord. Cet amour s’est cristallisé à mesure qu’il redécouvrait la musique ancienne. Pour le chant, ensuite, devenu au fil du temps une part indispensable de son travail. Anne Magouët étincelle et entretient la magie de cette évocation de Dowland. Même lorsque ses deux comparses partent très loin, elle maintient un cap, un lien ténu avec le XVè siècle. Elle lui confère une saveur intemporelle. On en oublie très vite de quel côté du miroir on se trouve…