Scènes

Des pompiers, des gourmets et des parapluies

Après avoir fêté leur trentième anniversaire l’année dernière, les Rendez-Vous de l’Erdre se mettent sur leur 31.


Médéric Collignon par Michael Parque

Clôturant la période estivale, à l’orée de la rentrée, cet événement où se côtoient musique et plaisance est une rencontre populaire prisée par les Nantais. L’occasion d’entendre quelques formations excitantes, ce malgré une météo venue gâcher la fin de la fête.

Longue de presque 100 kilomètres, l’Erdre vient finir sa course à Nantes où elle se jette dans la Loire. Avant de mêler ses eaux à celles du fleuve, elle s’engouffre dans un canal qui traverse la ville en sous-sol. C’est à son entrée que se tient la scène principale. Vaste plateau flottant accueillant tout le confort technique, elle se tient face à des berges servant de gradins pour un public venu nombreux. Point de départ, carrefour, lieu de rencontre d’un site tentaculaire qui s’étend sur les bords de la rivière et même un peu plus loin. Il faut aimer marcher.

Et tenir sur la longueur. Débutant le jeudi soir et courant jusqu’au dimanche, la profusion de concerts est une école de la résilience : impossible de tout entendre. C’est le jeu. Et la sélection est draconienne. Personne n’étant à l’abri, de surcroît, de croiser une connaissance qui, de récit de vacances à un passage à la buvette, vous oblige à annuler votre prochain concert, vous voyez peu mais c’est égal. Tous les concerts étant gratuits, offerts par la mairie, le département, la région (un peu chacun d’entre nous au final), personne n’a le souci de rentabiliser son billet d’entrée.

Et de belles choses se passent.
Le Musée d’arts de Nantes a fait peau neuve et offre un cadre magnifique pour le Quatuor Machaut. Au milieu des oeuvres des peintres du vingtième siècle, les quatre saxophonistes jouent avec la résonance de la salle, bougeant au fur et à mesure du concert, pour donner corps à la musique, aux harmonies complexes et aux lignes croisées. Les spectateurs, extrêmement nombreux, se placent au milieu de la salle et se laissent emporter par la beauté et le travail majestueux des musiciens autour de la Messe de Nostre-Dame de Guillaume de Machaut, arrangée et détournée par Quentin Biardeau. Un superbe moment pour ouvrir le festival et ravir nos oreilles.

Quatuor Machaut - Photo Michael Parque

Sur la scène nautique, le trio LPT 3 a convié 70 jeunes musiciens et leurs professeurs de l’école nantaise de cuivre pour jouer les morceaux de leurs deux premiers albums, notamment le récent Vents divers paru sur le label Yolk. Il n’est pas simple d’intégrer 70 musiciens à un travail entièrement acoustique où l’interplay, l’association des timbres et l’équilibre du trio font tout l’intérêt. Mais grâce au travail d’orchestration réalisé par Jean-Louis Pommier l’essai est de nouveau transformé. L’équilibre entre les musiciens amateurs et le trio fonctionne parfaitement. L’enchainement entre les pièces jouées à trois et celle jouées avec l’ensemble est naturel. Partage, transmission et plaisir de jouer illuminent ce concert.

Rendez-vous au Pannonica pour finir la soirée avec une double affiche : les Pompiers puis Derby Derby . Dans un club plein à craquer, où la chaleur monte d’un coup, les Pompiers ouvrent les débats avec un set mêlant avec bonheur humour, rigueur musicale et énergie. Ils offrent une vision contemporaine de la fanfare de poche. Puis vient Derby Derby et sa musique hypnotique, proche d’une transe douce, portée par les traitements électroniques. Elle a un côté tribal, sorte de chamanisme moderne.

Samedi après-midi débute avec le Marabout Orkestra, joyeuse troupe de musiciens puisant son inspiration en Afrique, au Maghreb, aux Antilles passée au filtre du jazz. Pour ce concert nantais - comme pour leur nouvel EP -, le Marabout Orkestra invite la chanteuse franco-algérienne Leila Bounous et livre une prestation tout en énergie, aux couleurs multiples.

Scène Sully, on écoute Daniel Zimmermann et son quartet. Là aussi, une musique pleine de couleurs, servie par des musiciens dont la subtilité et la complicité font merveille. Une pincée de rock, un soupçon de blues, ici un éclair funk, là une belle improvisation, la musique du quartet sur scène est à l’image du bel album Montagnes Russes.
Puis Gourmet revient dynamiter le festival comme lors de son premier passage en 2006. Le sextet emmené par Mikko Innanen et Esa Onttonnen et sa musique-monde réussit de nouveau le tour de force de réconcilier les amoureux du jazz, du tango, du folk, de l’improvisation, avec humour et sérieux. Gourmet, c’est jubilatoire, enlevé, frais, avec un brin de folie mais surtout beaucoup de talent. Le public est enthousiaste devant ces finlandais un peu fous mais irrésistibles. C’est le concert coup de coeur de ces Rendez-Vous de l’Erdre. Et toujours ce grand plaisir d’écouter le grand Veli Kujala à l’accordéon !

Fin d’après-midi, le soleil est toujours au rendez-vous. Sur la scène nautique, le nouveau quintet du saxophoniste Pierrick Menuau rend hommage à l’album Togertherness. Le saxophoniste tient le rôle de Gato Barbieri, Yoann Loustalot celui de Don Cherry. Derrière, Julien Touéry est au piano avec à propos et un vocabulaire large. Santi Debriano tient la basse et Barry Alstchul est aux baguettes. La greffe prend entre les Américains et les Français.

Sur la scène Mix Jazz. Charlemagne Palestine rencontre le duo de pop Grumbling Fur. Minimaliste, spectral, iconoclaste, arty, le travail de Charlemagne Palestine tient de tout cela à la fois. Fascinant lorsqu’il est écouté avec attention, ce soir-là la majorité du public passe à côté. Tout se noie dans un brouhaha permanent, l’attention se dilue comme les sons. Erreur de programmation que d’avoir gâché cette prestation qui méritait une salle plutôt qu’un espace ouvert.

Freaks - Photo Michael Parque

Ce qui n’est pas le cas en revanche pour la formation suivante. Freaks de Théo Ceccaldi prend son envol. Retenu ailleurs, le violoncelle de Valentin Ceccaldi manque mais la basse de Stéphane Décolly apporte ce qu’il faut de groove pour s’imposer, soutenue par la guitare discrète et exploratrice de Gianni Caserotto. Quentin Biardeau et Jean Dousteyssier font éclater les dissonances de toutes parts, les parties chantées entraînent des sourires et les embrasements de la batterie d’Etienne Ziemniak maintiennent le tout en fusion. Choix parfait, pour le coup, pour cette scène aux esthétiques transversales.

Retour au Pannonica pour Cycles de Benoît Lugué qui lui aussi mélange le rock à une pratique de l’improvisation propre au jazz. Benoît Lugué, bassiste électrique garant efficace du fond de court, s’essaye au chant sur quelques titres. Fragile mais touchant, l’énergie emporte le reste. Le final de la soirée est réussi.

Dimanche, la pluie s’invite. Timidement d’abord, lourdement ensuite. Gourmet s’installe dans l’ancien dépôt de tramway, désormais patrimoine de la ville de Nantes. En acoustique complet cette fois, les Finlandais invitent une nouvelle fois le public à traverser une diversité de paysages musicaux dans lesquels chacun peut rattacher un souvenir.

A croire que la chose est préméditée : la pluie s’accentue au moment où débute le concert du trio Wood (Matthieu Donarier et Sébastien Boisseau) qui invite la pianiste italienne Rita Marcotulli sur la scène Sully. Néanmoins, le public ferme les k-way, ouvre les parapluies et reste jusqu’au bout. Preuve que la beauté saisit, fige les corps et amène l’attention ailleurs. Un seul souhait, les revoir dans de meilleures conditions. Avis aux programmateurs.

Puis la pluie arrête tout. La fin de l’après-midi est annulée. Plus tard la soirée reprendra mais la (longue) douche a refroidi l’ambiance.
Durant ces quatre jours enfin, Médéric Collignon, invité de cette édition (et qui succède à Louis Sclavis l’année dernière) aura proposé une série de rencontres à toutes les heures du jour et finira sur les rotules. Ce qui en soit est un exploit pour cet artiste survitaminé mais toujours aussi généreux.

par Julien Gros-Burdet , Nicolas Dourlhès // Publié le 12 novembre 2017
P.-S. :

Quatuor Machaut : Quentin Biardeau, Simon Couratier, Francis Lecointe, Gabriel Lemaire (saxes)

LPT 3]] : Jean-Louis Pommier (tb), François Thuillier (tu), Christophe Lavergne (dm)

Les pompiers : Théo Secheppet (as, electronique), Flavien Légland (b), Bastien Torre dm), Alexis Persigan (tb), Paul Cadier (ts)

Derby Derby : Alan Regardin (tp), Sylvain Didou (elb), Fabrice L’Houtellier (dm)

Marabout Orkestra : Leila Bounous (voc), Johann Guihard (saxes), Xavier Thibaud (saxes), Cédric Thimon (saxes), Antoine Passet (g), Malo Darcel (sousaphone), Cyrille Maillard (perc), Laurent Cosnard (dm)

Daniel Zimmermann Quartet : Daniel Zimmermann (tb), Pierre Durand (g), Jérome Regard (b), Julien Charlet (dm)

Gourmet : Mikko Innanen (saxes), Esa Onttonnen (g), Ilmari Pohjola (tb), Veli Kujala (acc), Petri Keskitalo (tu), Mika Kallio (dm)