Chronique

Designers

Designers

Aki Rissanen (p), Joachim Florent (cb), Will Guthrie (d)

Label / Distribution : We Jazz Records

Tout commence à la (défunte) Maison du Jazz lors d’un concert entre Joachim Florent, Aki Rissanen et le batteur Ville Pynssi. La soirée thématique est consacrée au jazz finlandais. Les chanceux qui ont foulé en ce dimanche soir les planches du musée d’art brut de Paris y découvrent une musique géniale et ressortent du concert complètement é-ber-lu-és. Tout commence donc là-bas, ou presque. En fait, le bassiste et le pianiste s’étaient connus au CNSM. Mais, au-delà de l’anecdote, on peut dire que le trio Designers s’inscrit dans ce qui est devenu une tradition de coopération jazzistique entre les scènes finlandaises et françaises. On mentionnera d’ailleurs à ce titre le fabuleux travail réalisé par Charles Gil.

L’album est celui d’un trio piano, basse, batterie. Rien de bien neuf sous le soleil, direz-vous. Sauf qu’il ne faut pas voir un disque au prisme de la seule orchestration : si les trios sont légion, il n’en reste pas moins qu’on y savoure régulièrement de superbes musiques. Designers, du trio éponyme, est de celles-ci. On s’en doutait : ces trois musiciens nous avaient déjà habitués à leurs musiques exaltantes. Que ce soit à travers l’Impérial quartet, le GRIO – la version grand format de l’Impérial, pour le dire rapidement -, Radiation 10 ou encore Jean-Louis, le trio qu’il menait conjointement avec Aymeric Avice et Francesco Pastacaldi, Joachim Florent, à l’initiative de ce projet, est un OVNI de la basse.

Quant à Aki Rissanen, depuis Warp ! et la publication de One Note Stories en 2005 – avec notamment le trompettiste Verneri Pohjola –, c’est un musicien incontournable de la scène européenne. Le concert à la Halle Saint-Pierre date de cette époque. Alors, si la collaboration entre ces deux n’a jamais cessé – le projet Designers fut d’ailleurs en gestation pendant des années avant de se concrétiser à travers cet album – restait le troisième membre. Un temps, le nom de Sylvain Darrifourcq a circulé, et c’est finalement Will Guthrie qui est aux baguettes. Celles et ceux qui ont suivi le travail du batteur australien savent qu’il est lui aussi un créateur de sons, d’univers et qu’il conte des histoires à travers ses fûts, ses caisses, ses cymbales. Aussi ne sera-t-on pas étonné que Designers soit un très bel album qui balaie un registre assez large.

Tout débute avec « Lebanon » et un groove mené à la contrebasse tandis que batterie et piano dessinent et déclinent des motifs aux couleurs orientalisantes. « Procession » – un titre fort explicite, n’est-ce pas ? – est plus austère, plus sombre aussi, au moins sur sa première partie. Le jeu à l’archet de Joachim Florent y contribue assurément et les motifs au piano donnent un cachet presque obsessionnel. Les phrases qui se lovent les unes dans les autres cheminent à la manière d’une parade. Jusqu’au chorus du piano qui semble s’émanciper de la structure. Superbe ! Quant au jeu de Will Guthrie, c’est celui d’un dentellier. Il tisse et brode des ornements complexes sans jamais céder au clinquant ou à la brusquerie et, finalement, au-delà des différentes histoires qui composent Designers, on dira que cette démarche de dentellier, ou d’orfèvre - au choix - constitue l’ADN de l’album.

par Gilles Gaujarengues // Publié le 8 janvier 2023
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