Scènes

Deux versions du jazz selon le Grand Bazardier et Léon Phal

Échos masqués de Nancy Jazz Pulsations # 1 – Jeudi 8 octobre 2020, Parc de la Pépinière : Le Grand Bazardier, Léon Phal 5tet.


Le Grand Bazardier © Jacky Joannès

Première incursion dans l’édition 2020 du festival. Place est faite au Grand Est avec un collectif nancéien qui ne manque pas d’imagination, le Grand Bazardier. Puis avec le saxophoniste Léon Phal, saxophoniste champenois dont le quintet flirte volontiers avec un « dance jazz » propre à réchauffer une ambiance plutôt fraîche.

Il faut d’abord saluer le travail assez colossal entrepris par l’équipe organisatrice d’un festival qui a su le maintenir en dépit d’un contexte très défavorable et des menaces qui continuent de rôder. La programmation est réduite, les lieux emblématiques que sont le Chapiteau de la Pépinière et le Magic Mirrors sont absents. Ainsi va la vie sous la pandémie. Côté jazz – car NJP embrasse de nombreux styles musicaux, rappelons-le – l’essentiel viendra surtout la semaine prochaine au Théâtre de la Manufacture, mais aussi à travers quelques rendez-vous salle Poirel. Thibaud Rolland, à la tête de NJP depuis l’année dernière, pourra quoiqu’il advienne être fier d’avoir contribué activement au maintien de cette grande manifestation automnale.

J’oublie le périnée de Manoukian à l’affiche d’hier, pour humer ce soir l’air ambiant d’un parc qui propose au sein d’un même espace grillagé, d’où l’on ressort à titre définitif, plusieurs scènes extérieures où chacun avance masqué. Ou presque. Le service d’ordre est patibulaire, l’œil torve, la fouille très pressante. Trop. Covid 19 et plan Vigipirate, certes, mais ces excès de zèle refroidissent une ambiance qui n’en a pourtant pas besoin. Tentons donc d’oublier ces vigiles à la main lourde qui vous feraient vite passer pour des coupables. Il fait froid, humide, pas de chance… Mais on va se réchauffer, c’est sûr.

Nicolas Arnoult (Le Grand Bazardier) © Jacky Joannès

Peu après 18 heures, les sept nancéiens du Grand Bazardier, un collectif d’où émanent différentes formations dont le quartet Shootin’ Chestnuts (qui vient de publier un très réussi Naninani ?!), occupent La Guinguette. Ici, on trouve des transats, quelques bancs, le public est plutôt clairsemé. Question de timing sans doute. Dommage parce que ces musiciens offrent une musique vivante et exploratoire qui me semble correspondre à une définition un peu trop oubliée dans la perception mainstream du jazz. Entre la rigueur d’une musique écrite et la prise de risque qu’est l’improvisation, sans caresser forcément l’oreille dans le sens du poil. Ce « jazz à gratter » fait du bien, il nous embarque et on se laisse faire. La formule sonore du groupe varie d’une composition à l’autre : l’ensemble initial se disloque vite pour ne laisser la place qu’aux deux accordéonistes (Nicolas Arnoult et Fabrice Bez). Avant leur sortie et les retours de Maxime Tisserand (clarinette), Jean-Michel Albertucci (piano), des frères Ambroziak, Matthieu (guitare et basse) et Alexandre (batterie), sans oublier le percutant Guy Constant dont on se rappelle le très bel ensemble EPO. Conversations à deux, trois ou quatre puis tout le collectif réuni à nouveau dans une conclusion obsédante et très convaincante. C’est bon, mais trop court. Le Grand Bazardier reviendra à deux reprises durant la soirée.

Léon Phal © Jacky Joannès

Quelque temps plus tard, Léon Phal et les musiciens de son quintet sont de retour sur la scène dite « Le Dôme ». Le Champenois est un peu la mascotte de Thibaud Rolland, lui dont la formation avait été lauréate du tremplin Jazz Up organisé par NJP, mais aussi de ReZZo Focal (Jazz à Vienne). Après avoir joué en première partie de Kyle Eastwood l’an passé, après un premier album plutôt séduisant (Canto Bello) et avant un deuxième annoncé pour le printemps prochain, Gauthier Toux (claviers), Zacharie Ksyk (trompette), Rémi Bouyssière (contrebasse) et Arthur Alard (batterie) entourent le saxophoniste, qui arbore un large sourire. Le plaisir de la scène, tellement étouffé depuis tous ces mois. La musique du groupe s’est densifiée en quelques mois. On sent que ce jazz très mélodique, parcouru de belles ballades autant que d’envolées puissantes et d’interventions solistes nerveuses, glisse de plus en plus vers une forme de « dance music » dont le beat aux accents techno est en mesure de conquérir un public plus large (plus jeune ?). Ce n’est pas, j’en conviens, ma tasse de thé mais cet enthousiasme, cette joie des retrouvailles avec un public dont on ne voit que les yeux est ce qui prédomine. Et puis il y a ce Gauthier Toux aux claviers ensorcelants, un véritable créateur. La température, finalement, a bien remonté.

La nuit est tombée. Je me retourne et m’aperçois que nous sommes assez nombreux, assis sur des bancs de bois ou installés autour d’une petite table. Je m’en tiendrai là pour ce soir, avec le sentiment qu’il faut être présent autant que faire se peut et ne pas s’abandonner à la grisaille d’une « vie nue ». Malgré les incertitudes et les mesures d’ordre sanitaire ou sécuritaire.