Chronique

Dexter Goldberg Trio

Tell Me Something New

Dexter Goldberg, piano. Bertrand Beruard, contrebasse. Kevin Lucchetti, batterie

Label / Distribution : Jazz&People

Voilà un trio qui n’a rien de circonstanciel. Ses membres se sont rencontrés en 2014 et le groupe a commencé à forger son identité lors d’une résidence d’une semaine dans le cadre du « Fresh Sound » de Jazz à L’Étage en 2015. Depuis, ils ne se sont plus quittés, répétant beaucoup et saisissant toutes les occasions de se produire en public.

Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Dexter Goldberg (piano et compositions) n’a pas effectué un long cursus en musique classique au conservatoire. Tout enfant déjà, son univers c’est le jazz. Avec une mère professeur de piano et un père saxophoniste professionnel, le jeune Dexter s’est surtout montré attiré par les percussions qu’il a pratiquées jusqu’à seize ans. Ce n’est que l’année suivante qu’il commencera vraiment le piano, en autodidacte. Six ans plus tard, il entre néanmoins au CNSM de Paris où il suit les cours d’Hervé Sellin, Pierre De Bethmann, Dré Paellmaerts et François Théberge. Il y obtient son prix avec mention Très Bien en 2014.

Son premier album sous son nom, Tell Me Something New (Jazz&people, 2018) ne contient que des compositions originales, neuf en tout, dues à la plume de Dexter Goldman. Prétention, présomption, chez un trentenaire, dira-t-on ! Et on aura tort. Ce disque manifeste une réelle maîtrise et révèle un style tout personnel. Ici, pas de bavardage, de babillage facile, chaque titre a sa nécessité et apporte sa contribution à l’édifice commun. Sur scène, Dexter Goldberg respire la joie profonde de jouer. A l’écoute, cela se traduit par des mélodies très aériennes, comme dans « Tell Me Something New », le titre éponyme qui commence l’album. On croit voir les longues mains du pianiste virevolter au-dessus des touches dans un dialogue très riche avec Kevin Lucchetti à la batterie. Le climat est identique dans « I’ll Be O.K. », tantôt intime tantôt plus ample, qui se distingue aussi par un mariage des timbres qui souligne la richesse de l’écriture.

Outre la qualité des mélodies et la richesse harmonique, Tell Me Something New brille aussi par son invention rythmique. Héritage de son passé de percussionniste, sans doute, Dexter Goldberg adore les rythmes complexes et atypiques. Pas pour faire de l’esbroufe : ses trouvailles sont utilisées avec discrétion. Mais la variété rythmique qu’il propose se marie parfaitement avec un autre aspect de sa musique, le côté visuel. « RER B » est emblématique de ce côté cinématographique qu’on retrouve chez beaucoup de jeunes musiciens. L’inconfort et le malaise qui caractérisent parfois les transports franciliens sont parfaitement évoqués dans des sortes de saynètes très rythmées. Dans « Rainbow » on évoque la torpeur d’avant l’orage, le tonnerre, la pluie et le retour au calme. Parallèlement, contrebasse, Bertrand Beruard, et batterie nous installent dans un étrange climat.

Quels que soient ses choix harmoniques, mélodiques ou rythmiques ce qui sous-tend la musique de Dexter Goldberg, c’est une incessante pulsation qu’il appelle le swing. Un don qu’il prétend lui être congénital. Il faudrait aussi parler de l’humour, ce raffinement de l’intelligence, qui s’affiche partout dans cet album. Il se manifeste dans un titre comme « A Chord Into Me » (on aura remarqué le jeu de mots) mais aussi dans les nombreuses ruptures qui parsèment les différents titres, dans les « contre-pieds » imaginés par l’un ou l’autre des musiciens. Tell Me Something New est la révélation au grand public d’un pianiste à la riche personnalité, c’est aussi la manifestation d’un trio déjà solide que l’on souhaite voué à une grande longévité afin d’ajouter l’expérience au talent.