Chronique

Maxine Gordon

Dexter Gordon Sophisticated Giant

Label / Distribution : Lenka Lente

Non, on ne saura jamais tout sur Dexter Gordon ! Et ce n’est pas plus mal. En particulier, n’est pas abordé ici le son si particulier de l’un des plus sémillants sax ténors de l’histoire du jazz : cette manière de jouer au fond du temps, même sur des tempos d’enfer, ne fait pas l’objet de quelque analyse que ce soit - ce serait là faire œuvre de musicologue. On pourrait aussi gloser sur sa part d’ombre, notamment sur son addiction à l’héroïne. Cette dernière n’est certes pas ignorée ici, que ce soit sous l’angle de « l’évasion » ou de la souffrance : la question est même abordée avec pudeur et amour par l’auteure, Maxine Gordon, qui n’est d’autre que sa dernière compagne - auparavant, elle fut son agent.

Le tour de force de cette dernière, c’est d’avoir su conjuguer des instants d’intimité biographique - en tout bien tout honneur - avec des éléments d’histoire sociale du peuple afro-américain. Ainsi de la décision de « Long Tall Dexter » de rester vivre en Europe dans les années soixante-dix suite à l’assassinat de Malcolm X. Ainsi également de ses origines métisses, noires bien sûr mais également amérindiennes et françaises. On croise tellement de légendes au fil de cet ouvrage. Parmi elles, évidemment, Bertrand Tavernier, qui embaucha Dexter pour jouer le personnage de Dale Turner dans « Autour de Minuit », inspiré, faut-il le rappeler, des épisodes de la vie parisienne de Bud Powell tels que rapportés par Francis Paudras dans « La Danse des infidèles », récemment réédité chez l’éditeur marseillais Le Mot et le Reste. L’auteure a validé un doctorat en histoire culturelle et l’ouvrage est une version grand public de son travail de recherche. Aussi, la documentation est sélectionnée avec une rare pertinence : elle est issue notamment de la correspondance du saxophoniste, entre poèmes adressés à l’être aimé, esquisses de scénario pour un projet de film lors d’une tournée avec Lionel Hampton, son employeur de l’ère du swing - avec rencontre « obligée » avec des crétins racistes dans le « bon vieux Sud » -, ou comptes rendus de séances en studio.
Même la question du genre n’est pas passée sous silence avec un beau passage consacré à l’admiration artistique sans fard que le musicien vouait à la tromboniste Melba Liston. Une biographie que l’on dévore comme un « page-turner », où s’entremêlent amour et rigueur scientifique. Comme une saga issue de l’histoire sensible du peuple noir nord-américain.