Sur la platine

Douce France, trois galettes salées

Trois disques insolites récents confirment une vitalité française unique et fondamentale.


La France underground a produit de véritables pépites discographiques. L’érudit Dominique Grimaud fut un précurseur éclairé en publiant en 1977 et 1978 deux livres/collages intitulés « Un Certain Rock (?) Français » qui témoignaient en leur temps de la genèse d’un genre musical. Cette aventure particulière continue en 2023 avec trois parutions d’albums intrépides lorgnant vers des lendemains qui chantent.

nato a toujours été le label de tous les possibles, offrant à de nombreux artistes aux styles originaux de s’exprimer librement. Il est loin le temps des concerts donnés à Chantenay-Villedieu qui préfiguraient la naissance de ce label fondé par Jean Rochard, producteur garant d’une poésie inclassable pour notre plus grand bien.

L’association franco-américaine entre Jack Dzick et Léo Remke-Rochard est riche d’expériences vécues. Le batteur traversé par les éclairs de la scène de Minneapolis et le chanteur slammeur introduisent un univers poétique baigné par les humeurs du monde. Anamaz, chanteuse et pianiste, les rejoint pour cet enregistrement offrant des univers composites. Les contrastes aux sonorités saisissantes bénéficient de l’apport des aînés, Catherine Delaunay à la clarinette dans « Memories in Parallel » et Dominique Pifarély au violon dans « Matières premières ». Une longue année évoque tout autant les divers effets de la période pandémique passée que la suspension du temps propice à la découverte d’horizons nouveaux. La reprise d’un titre des Four Mints de 1971 n’altère en rien les épisodes célébrant une contemporanéité qui se propage avec bonheur tout aux long de ces quatorze plages inventives.

Ces climats sans cesse renouvelés témoignent d’une vitalité accrue avec ce jeune trio qui a tant à dire, le tout agrémenté d’illustrations d’un monde onirique et précieux en la personne de Jop. Quant à Jean Rochard, amoureux des mots et des sons, il produit artisanalement ce disque.


La musique déployée dans Rustiques apparaît comme une introspection où la tendresse est de mise. L’association Jean-Marc Foussat / Sylvain Guérineau est l’évocation d’aventures entremêlées dans un foisonnement sonore élastique. L’improvisateur Foussat est non seulement le moteur du label Fou Records grâce à qui ce disque existe, mais il endosse sublimement l’habit coloré de maître de l’AKS, ce synthétiseur analogique enchanteur inoculant des fréquences ondoyantes. Ces sculptures sonores permettent à l’aventureux Guérineau (saxophone ténor et clarinette basse) de naviguer sereinement. « Carpes & Grondin » fait émerger une luxuriante jungle sonore qui précède « L’Ange dérangé » illustrant parfaitement ce qu’est le fourmillement d’idées. Si les effets cosmiques dignes de l’école électronique allemande soulignent la musicalité de « La Chose est faite », une singularité fluctue amplement avec les boucles du synthétiseur dans « Moutons embrumés ».
Ici l’imaginaire est roi : nos deux compères convoquent Alfred Jarry et Raymond Queneau à la table des convives. Rustiques est bien né dans notre Hexagone et il est déjà prêt à s’envoler très loin.


Les racines de l’underground évoquent les souterrains semblables aux circuits musicaux situés en marge de l’establishment. L’uniformité n’habite pas la musique de Phil Reptil, c’est à l’inverse un territoire kaléidoscopique qui l’identifie depuis une trentaine d’années. Les guitares électriques et acoustiques sont la marque de fabrique de son nouveau disque bercé par sa voix et celle de Carole Agostini qui empoigne elle aussi une guitare électrique.

Pas question de coller une étiquette à cette musique habitée par de multiples vocabulaires, des climats éthérés de « Cherubino » et de « Listen To The Mermaids » au power trio très efficace de « Profondo Rosso », c’est une succession de scènes hétéroclites qui défilent. Dans la lignée d’Hector Zazou ou d’Emmanuel Booz, cet album déverse un lot d’utopies contagieuses qui emportent instantanément l’auditeur. Sophia Domancich, Claude Tchamitchian et Simon Goubert en improvisateurs confirmés injectent leurs doses de musicalité dans le casting composé également de Nosfell, Étienne Gaillochet, Vincent Mahey et Macdara Smith.

Phil Reptil, en défricheur accompli, répand son érudition habitée d’une veine sentimentale, et nous réserve d’ailleurs une jolie surprise avec l’ultime morceau de l’album, passées six minutes d’intermède silencieux.