Scènes

Echos de Marseille Jazz des Cinq Continents

Deux soirées au Festival Marseille Jazz des Cinq Continents 2022


Si le Festival Marseille Jazz des Cinq Continents dure 13 jours au cœur de l’été, c’est sur une saison de trois mois que l’équipe menée par son directeur Hugues Kieffer déploie une programmation diversifiée, parsemée de surprises dans des lieux peu habitués à vibrer au son des notes bleues ou dans des sites exceptionnels du centre-ville (cour de la Vieille-Charité au quartier du Panier, toit-terrasse du Fort Saint-Jean au MUCEM, jardins du Palais Longchamp), sans compter des incursions dans la lointaine périphérie du département.

La prestation du quintet de la chanteuse Cecil L. Recchia s’est tenue à Plan-de-Cuques, village-dortoir de banlieue, situé entre quartiers périphériques et collines provençales aux airs « pagnolesques » - dont la majorité de l’électorat est malheureusement infecté par la peste brune. Le groupe tourne avec le répertoire de l’excellent album « Play Blue ». On apprécie la pertinence poétique du batteur David Grébil, passeur de relais et fondateur des grooves qui s’immiscent dans les corps et les esprits. La chanteuse a écrit des textes finement ciselés sur des titres à l’origine instrumentaux. Son art vocal se fait pleinement orchestral sur « Portrait of a Woman », un duo avec le fabuleux pianiste Noé Huchard : cette adaptation d’une ballade à trois temps composée par Wayne Shorter pour les Jazz Messengers d’Art Blakey en 1962, est belle à en pleurer, par la grâce de son dépouillement et la sensation que donne le duo d’être dépassé par la musique qu’il crée.
Le ton d’ensemble est joyeusement iconoclaste : César Poirier s’exprime à la clarinette sur un thème écrit par Kenny Dorham et la chanteuse vocalise les parties de trompette en l’absence du titulaire. Mention spéciale au contrebassiste Luca Fattorini, dont le son soyeux et boisé confère un supplément d’âme naturel aux titres.

Nduduzo Makhathini Quartet (Clara Lafuente)

Saluons la pertinence d’une programmation qui sait mêler le populaire et l’exigeant. Voire l’exceptionnel, comme la venue du pianiste sud-africain Nduduzo Makhathini dans la cour de la Vieille Charité, au cœur du quartier du Panier. Ce descendant d’une lignée de chamanes zoulous met dans son jazz une spiritualité telle que l’on peut être rassuré quant à la succession du vénérable Abdullah Ibrahim. L’homme a des lettres : musicologue associé à l’université de Capetown, il est aussi directeur artistique du label Blue Note Africa. Il expliquera au public la philosophie du « Ntu », qui donne son titre à son dernier album : une conception globale du temps et de l’espace connectés à l’ensemble du vivant qui fonde sa geste musicale. Au piano, c’est un virtuose qui jongle allègrement entre inclinations « chopinesques » en introduction d’une ballade poignante et appétence pour les harmonies issues du « gospel » sud-africain dont son illustre prédécesseur fit son miel, sans dédaigner quelques incursions bop.
Il a engagé pour cette tournée le batteur cubain Francisco Mela, redoutable pourvoyeur d’impulsions rythmiques, le contrebassiste sud-africain Zwelakhe Duma Bell Le Père, au son feutré et envoûtant et s’est adjoint les services du fabuleux sax alto américain Logan Richardson, originaire de Kansas City, dont la quête afro-futuriste ne pouvait que faire écho aux recherches du leader.

Dal Sasso big band (Clara Lafuente)

En seconde partie de soirée, place au big band conduit par le Varois Christophe Dal Sasso. Cette relecture de l’album Africa/Brass de Coltrane, qui n’a jamais été joué live, fait plus que convaincre. On est littéralement soufflé par la réappropriation du répertoire légendaire. Les arrangements mettent la rythmique - cette dernière est rehaussée de tambours gwo-ka - sur un pied d’égalité avec les vents. Aux trois titres qui composaient la suite originelle de 1961 s’ajoutent quelques-uns des standards dont Coltrane fit son miel, tel « You Don’t Know What Love Is ».
Entre Dal Sasso impliqué corps et âme dans la direction, donnant quelques indications à la flûte traversière, Pierre de Bethmann plus qu’émouvant au piano, et des vents au taquet (mention spéciale à Géraldine Laurent au sax alto), sans ignorer la rythmique, c’est un superbe monument musical qui prend forme.