Chronique

Eddie Gomez Trio

Palermo

Stefan Karlsson (p), Eddie Gomez (b) et Nasheet Waits (d).

Label / Distribution : Allgorythm

Depuis 1998 et Dedication, on attendait le retour en trio d’Eddie Gomez avec Stefan Karlsson au piano et Jimmy Cobb à la batterie. Voilà qui est chose faite avec Palermo, mais si Karlsson est bien au piano, en revanche Nasheet Waits est aux fûts.

Le répertoire de l’album est constitué de trois thèmes signés Karlsson, dont « Palermo », co-écrit avec Waits, un morceau sentimental - « Missing You » - composé par Gomez, « We Will Meet Again » de Bill Evans et trois standards qui ont également fait partie du répertoire d’Evans.

Difficile en effet d’échapper à Bill Evans quand on parle de Gomez. Après Scott LaFaro et avec Marc Johnson, Gomez fut le contrebassiste le plus convaincant aux côtés du pianiste. Evans ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisqu’il a fait appel à lui pendant onze ans, de 1966 à 1977. Sur Palermo, le contrebassiste se souvient du maître (« We Will Meet Again », thème écrit en hommage d’Harry Evans, frère aîné et aimé de Bill). Ce morceau est emblématique à plus d’un titre, à commencer par son nom : « nous nous retrouverons ». De plus, « We Will Meet Again » figure sur You Must Believe In Spring, dernier album d’Evans avec Gomez (et Eliot Zigmund à la batterie), enregistré en 1977, mais sorti à titre posthume. Enfin, ce morceau est également le titre du dernier album enregistré en studio par Evans un an avant sa mort… Sur Palermo, l’aisance de Gomez est toujours aussi impressionnante : il est bluffant à l’archet sur « Missing You », confondant dans les aigus (« On Green Dolphin Street ») et particulièrement habile dans ses contre-chants (« My Foolish Heart »).

Né en Suède, mais installé aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années, le pianiste Stefan Karlsson revendique clairement l’héritage d’Evans : son album Live At Vartan Jazz, enregistré en 1997, est en trio avec… Gomez et Zigmund. Cela dit, son jeu est sans doute plus proche de Jarrett que d’Evans car, même s’il fait bien partie des pianistes « raffinés », il parsème son discours d’effets rythmiques, comme Jarrett (« Smilin’ Eyes »). Quant à Nasheet Waits, il est époustouflant de la première à la dernière plage. De la frappe lourde et efficace aux superpositions rythmiques subtiles, c’est un vrai moteur ! Sans oublier l’extraordinaire musicalité qui trouve naturellement sa place dans l’esprit du trio.

A l’instar de la musique d’Evans et de Jarrett, le jeu des trois musiciens est basé sur l’écoute, le dialogue et les nuances. « Illusion » en donne un exemple parfait : d’abord une introduction captivante de Gomez qui commence par faire « rouler » ses cordes avant de se lancer dans une longue phrase sinueuse qui se conclut à nouveau sur des roulements. Puis le trio entre en scène pour le thème et part dans une variation alternant passages mélodiques et rythmiques, forte et piano, envolées en walking et stop chorus, valse et binaire… bref, toute une panoplie d’effets. Le trio maintient également un suspens très « jarrettien », comme dans « On Green Dolphin Street », et gère la tension et l’émotion avec une grande maîtrise (« We Will Meet Again »).

Clairement dans la tradition du trio piano–basse–batterie élégant, Palermo est un fort bel album, et ses trois auteurs y ont ajouté la dose de tension nécessaire pour que la musique tienne l’auditeur en haleine.

  1. « Palermo », Karlsson & Waits (8’09).
  2. « Illusion », Karlsson (9’01).
  3. « Missing You », Gomez (6’19).
  4. « On Green Dolphin Street », Kaper & Washington (9’00).
  5. « Smilin’ Eyes », Karlsson (7’38).
  6. « We Will Meet Again », Evans (6’26).
  7. « If I Should Loose You », Robin & Grainger (7’49).
  8. « My Foolish Heart », Young & Washington (6’16)