Entretien

Elise Caron, chanteuse à l’émotion libre

Rencontre avec une artiste totale qui joue de la flûte, imagine des histoires et joue la comédie.

Elise Caron © Christian Taillemite

« Tout le monde aime Elise Caron, même ceux qui ne la connaissent pas encore ». Nous l’avions écrit il y a quelques années, et cet aphorisme un peu facile n’a jamais été aussi juste. Alors qu’elle fait paraître avec Denis Chouillet, son complice de toujours, un Sentimental Récital qui ressemble aux premières amours, celles qui durent éternellement, la chanteuse se confie à nous. Chanteuse ? C’est un peu limitatif pour une artiste totale qui joue de la flûte, imagine des histoires, joue la comédie et écrit à merveille. C’est la première fois qu’Elise Caron est interviewée par notre journal, ce qui paraît fou, puisque le premier article la concernant date d’il y a… 23 ans, avant même notre première mise en ligne ! De quoi rattraper le retard et envisager l’avenir, ce qu’Elise fait avec clairvoyance et gourmandise.

- Elise, il y a plus de 90 articles à votre nom en vingt ans dans Citizen Jazz, et pourtant c’est notre premier entretien. Est-ce comme les bons alcools, il fallait attendre ? Y’a-t-il une pudeur à s’exprimer sur son actualité et sa carrière ?

Mazette, 90 ! C’est énorme… Non, je ne cherche pas particulièrement à me cacher et je ne refuse jamais d’entretiens. J’ai de la pudeur oui, mais plutôt en société : si on me demande de m’exprimer sur mon actualité, en général c’est assez succinct.

Elise Caron © Franpi Barriaux

- Tout ceci étant largement documenté, nous n’allons pas vous faire l’affront de vous demander de vous présenter, mais s’il fallait se résumer (et donc se caricaturer), que diriez-vous de « la » Elise Caron de ce siècle ?

Je suis la même qu’au siècle dernier je crois, j’ai les mêmes espoirs qu’enfant, et j’essaie de ne pas les enfouir sous des couches de découragement ou de mélancolie face à la dureté du monde, j’ai toujours plus ou moins l’impression qu’il y a un « quand je serai grande » dans mon système de pensée, qui correspond je crois (en tout cas dans ce métier) à l’idée d’un environnement artistique plus fluide, ouvert, curieux, qui me permettrait d’avoir largement ma place, et comme je n’ai jamais su me vendre - ça n’est pas mon métier - peut-être que le regard indifférent voire même condescendant parfois de quelques « décideurs » (j’en ai pas vu des masses non plus, hein) sur mon travail personnel avec Denis Chouillet, jugeant mes chansons trop ceci ou pas assez cela et de toute façon invendables, m’a fait petit à petit renoncer à les contacter, et donc renoncer à un plus grand rayonnement de mon travail. Mais ha ! l’espoir de l’enfance…

- Est-ce que, paradoxalement, ça n’offre pas de la liberté d’avoir un public plus réduit mais fidèle ?

Heureusement qu’il est là : il me rassure d’année en année, il me donne envie de ne pas lâcher et en effet ça me donne une liberté de création certaine puisque je ne subis ni diktat ni pression, mais j’avoue que je ne dirais pas non à une grande tournée parsemée de lauriers et de fans criant mon nom en arrachant ma chemise, car mes chansons sont loin d’être élitistes..

Je suis heureuse car cette année va sortir Nouvelles Antiennes, que je peaufine depuis presque trop longtemps puisqu’il s’est passé cinq ans depuis le premier enregistrement (il y en a eu deux). Mais il faut croire que c’était le temps nécessaire pour que j’en assume entièrement l’esprit et qu’elles sonnent comme je l’entends. Même si elles ne sont pas parfaites, elles sont juste idéales. Je sais que le disque est attendu par quelques-uns et quelques-unes ; j’ai hâte de le leur faire entendre. Il faudrait juste que je puisse les chanter un peu plus que pas du tout… Vous avez dit tourneur ?

Mes inclinations artistiques, elles, sont depuis toujours régies par la reconnaissance jubilatoire d’autres univers, si riches qu’ils me dépassent, qu’il me faille les affronter, les amadouer puis les rendre miens

- Est-ce que des choses ont évolué dans votre approche depuis - par exemple - votre passage à l’ONJ de Denis Badault ou d’autres projets plus contemporains comme le Orange de Michael Riessler ?

C’est incidemment que mon approche a évolué, parce que ma voix évolue, ma recherche étant toujours tournée vers la liberté, l’aisance et le plaisir de chanter ; et particulièrement en improvisation où tout se mêle, aussi bien les influences musicales que le théâtre. Mais mes inclinations artistiques elles, sont depuis toujours régies par la reconnaissance jubilatoire d’autres univers, si riches qu’ils me dépassent, qu’il me faille les affronter, les amadouer puis les rendre miens

De Denis Badault à Michaël Riessler en passant par Jean-Rémy Guédon, Jacques Rebotier, Luc Ferrari, David Chevallier, Roberto Negro, Eric Watson, Albert Marcoeur, Michel Musseau, les Gillet père et fils… et je voudrais tous les citer, contemporains ou plus classiques, quelles musiques ! et que je les admire !

Jacques Rebotier et Elise Caron © Christian Taillemite

- Dans Loving Suite pour Birdy So ou dans La Chose Commune, vous interprétez sur scène un ou des personnages, en plus de chanter la partition. Avec Chansons pour les petites oreilles ou encore avec John Greaves et son Verlaine Gisant ou même ici, il y a beaucoup de mise en scène. Vous avez commencé par le cinéma : on vous a vue dans Cocktail Molotov de Diane Kurys, quelques allées-venues également (Un soir au club, Holy Motors, sans compter le magique No Land’s Song…). Est-ce que cet art de la comédie est une dimension indissociable de votre musique ?

Absolument. Indissociable.

- Il faut combien d’heures de travail pour avoir l’air de s’amuser sur scène ?

Je suis très lente ou très spontanée. Je peux donner à entendre et à voir quelque chose d’immédiat, je le sais, car j’ai un élan théâtral qui peut compenser une fragilité, et d’une manière générale effectivement je m’amuse, surtout s’il n’y a pas de lendemain pour se rattraper. Mais sur une aventure plus longue, je travaille à affiner l’interprétation de soir en soir, jusqu’à la dernière. Je vais jouer en décembre dans la super comédie musicale de David Lescot, Une femme se déplace, et je me réjouis de la durée de l’exploitation pour ça : améliorer et trouver la justesse, m’amuser et en profiter au maximum.
Pour les Petites Oreilles par exemple j’ai mis plusieurs années à arriver à quelque chose qui me satisfasse pleinement, parce que j’avais justement ce public si exigeant que sont les enfants, et ceux-là j’avais vraiment envie de les « avoir ». En revanche, ce qui peut me poser un problème quand mon travail est filmé par exemple, c’est que je n’aie ni la possibilité ni le temps de travailler sur l’image que je montre de moi-même, comme je l’ai pour le son (car il s’agit là toujours d’interprétation, n’est-ce pas). Je suis alors facilement frustrée du résultat, parce que je ne peux plus rien améliorer. Là, il faut s’en remettre à un autre regard, être sûre d’être vue vraiment et qu’il ne laissera rien passer, comme je le fais pour moi-même.

Elise Caron, David Lescot © Christian Laborde

- Avez-vous l’intention de refaire de nouvelles petites oreilles ?

Je n’en suis pas là, mais j’aimerais écrire un conte musical. C’est pas pour maintenant, mais c’est un projet

- On vous retrouve souvent dans des rencontres duales, avec Edward Perraud, Joëlle Léandre, Bruno Chevillon ou justement Denis Chouillet comme sur ce récent Sentimental Récital dont on va parler plus tard. Il y a-t-il quelque chose de charnel dans le duo ?

C’est ce qu’on recherche en tout cas, je crois : une vague, qui s’engage soudain dans le jeu, reconnue comme étant commune et qui nous entraîne d’une façon évidente dans un instant jouissif ; si ça, ça n’est pas charnel.. mais ça n’est pas propre au duo, ni à l’improvisation d’ailleurs. C’est juste la musique qui parle plus intensément à nos sens : on la suit et on va aussi vite.

Des fois il arrive que je ne comprenne un poème que par la musique, de façon intuitive plutôt qu’intellectuelle.

- Le Marquis de Sade, Verlaine, Dylan Thomas, des textes de la Commune… Comment sert-on ces mots ?

La musique fait beaucoup pour approcher les mots. Des fois elle est l’esprit même des mots, pour qu’ils puissent être entendus comme ils ont été pensés. J’ai été habituée à ça étant jeune fille, et notamment dans la mélodie française. J’ai eu une compréhension plus immédiate de la poésie grâce à la musique. Des fois il arrive que je ne comprenne un poème que par la musique, de façon intuitive plutôt qu’intellectuelle.

- C’est l’idée de ce que l’on entend dans Sentimental Récital ?

Ces mélodies sont mes premières amours. Il y a dans ces poèmes une description macroscopique des sentiments humains, où tout se joue sur une chanson ; comme des opéras miniatures, où tout est exacerbé et très émouvant.. c’est du tout nu..

- Vous avez aussi une belle écriture, très poétique. Est-ce que, quand ce sont vos mots, l’approche musicale est différente ?

Merci pour les fleurs.. L’approche musicale d’un texte est différente pour chaque compositeur, la mienne ne sera pas différente parce que ce sont mes mots, elle sera juste différente parce que c’est ma musique ; en revanche je ne sais pas ce qui ressortirait de l’esprit de mes mots s’ils étaient mis en musique par quelqu’un d’autre ; je verrai bien si ça arrive un jour…(je ne parle pas de Denis Chouillet qui comprend totalement mon univers, et qui bien souvent trouve ce que je pressens).

Elise Caron & Joëlle Léandre © Franpi Barriaux

- Quels sont vos projets ?.

Des sorties de disques surtout. Les Nouvelles Antiennes avec Denis Chouillet bien sûr ; mais ça, je ne sais pas quand.

Il y aura aussi une réédition de notre premier album Le Rapatirole (de 1996) grâce à Jean-Pierre Vivante du Triton, qui a déjà réédité les Petites Oreilles et Eurydice bis ; Happy Collapse, notre deuxième disque avec Edward Perraud où se mêlent improvisations et compositions. Et puis la comédie musicale de David Lescot qu’on jouera aux Abbesses en décembre. Guillaume de Chassy m’a invitée dans son trio (avec Thomas Savy et Arnault Cuisinier) dans un répertoire de chansons françaises des années 50, Suzy Delair, Danielle Darrieux… J’ai adoré faire ça, et avec eux. J’ai un autre projet de disque avec Greg Gilg chanteur et compositeur lyonnais que je trouve génial. (écoutez 14:14, un disque très libre, très poétique et drôle).

Et depuis trois ans, j’enregistre des trucs : des cloches, des mariages, des vaches, des cochons, des bouts de films et j’ai l’intention d’écrire de la musique dessus, de chanter peut-être mais pas forcément, d’enregistrer chez moi avec ma flûte et mon piano-de-merde-que-j’adore. Ça va être simple, dépouillé et sophistiqué. Mais ça, je ne sais pas quand ça sortira.