Chronique

Elliott Murphy

Elliott Murphy

Label / Distribution : Last Call

Mais que vient donc faire un disque d’Elliott Murphy, le plus français des songwriters américains [1], héritier tout à la fois de Bob Dylan, Bruce Springsteen ou encore Lou Reed, dans les chroniques de Citizen Jazz ? Pas du jazz, nous dira-t-on ! Non, en effet, pas du jazz : juste un disque brillant, tendu comme un arc, à sa manière un disque parfait où s’entrecroisent avec beaucoup de fluidité ballades teintées de blues et rock’n’roll endiablés. Et une étonnante faculté d’enchaîner hits potentiels et classiques instantanés. Prêtez donc, pour vous en convaincre, une oreille à « Gone, Gone, Gone », « Train Kept A Rolling », « Rain Rain Rain », « Rock’n Roll ’N Rock’n Roll » ou encore au très dylanien « Poison’n Grace » qui déroule les paysages d’une Amérique cinématographique avec un fort pouvoir de séduction.

Publié sur le label indépendant français Last Call, ce disque sobrement intitulé Elliott Murphy est le trente-et-unième d’une belle série dont le fil rouge est certainement une fusion réussie entre folk, blues et rock. Probablement l’un de ses meilleurs, et proche, dans l’esprit, de ses premiers albums. Dans un entretien qu’il accordait voici quelque temps au journal Libération, Elliott Murphy rappelait : « Mon premier disque était marqué par les influences de Janis Joplin, Jim Morrison et BB King. Par la suite, je me suis entiché de la country : je l’ai également épousée. J’ai toutefois continué à appuyer ma musique sur deux pieds, l’intensité du blues et l’émotion du rock ». Dont acte : tous les ingrédients de base sont au programme, les histoires successives nous content la vie jusqu’à la magnifique et nocturne conclusion de « Train Kept A Rolling ».

Il n’est pas inutile de revenir en quelques mots sur la carrière d’un artiste rigoureux également amoureux de littérature - européenne, mais sans oublier les grands Américains : Kerouac, Hemingway. « Le rock est ma drogue, les mots ma religion. Je confie mon destin dans les mots ». Ce fin ciseleur de textes s’est fait connaître voici près de quarante ans, en 1973, avec Aquashow, qui lui avait valu à juste titre une reconnaissance immédiate et des comparaisons plus que flatteuses. Tout aussi captivants furent ses successeurs : Lost Generation (1975), Night Lights (1976) et Just A Story From America. Cet ami de Bruce Springsteen, autrefois proche du Velvet Underground, écrivait là les premiers chapitres d’une longue histoire dont il a tourné les pages avec une relative discrétion mais une grande fidélité à ses musiques nourricières.

Onze titres produits par son fils Gaspard, 20 ans seulement, et interprétés par une équipe soudée : les fidèles Normandy All Stars, emmenés par le guitariste Olivier Durand. Une production épurée, d’une grande netteté, où les guitares – électriques ou acoustiques – se taillent la part du lion et sont soutenues par une rythmique discrète et efficace. Parmi les invités, on relèvera aussi le nom de Lisa Powell, qui n’est autre que la choriste du pote Bruce Springsteen. Jamais bien loin, le « Boss »… La voix d’Elliott Murphy, plus grave et rugueuse qu’autrefois, n’est certes pas sans rappeler celle de Bob Dylan ; mais très vite on oublie les références et les comparaisons. Car c’est bien une invitation à entrer dans l’univers captivant d’Elliott Murphy, à partager ses chansons comme autant de scénarios possibles, qui nous est lancée avec ce disque qu’on écoute d’un trait. Autant dire que cette loi de Murphy n’a rien d’une potion amère. Bien au contraire, on la subit en toute connaissance de cause et avec un vrai plaisir.

par Denis Desassis // Publié le 7 novembre 2011
P.-S. :

Musiciens : Elliott Murphy (voc, g, p, org), Olivier Durand (g), Gaspard Murphy (g, arrgt), Alain Fatras (dms, cajon, perc), Laurent Pardo (b), Kenny Margolis (org, p, acc), Florent Barbier (perc), Laura Mayne (voc), Lisa Lowell (voc), Alain Chenevier (voc).

[1Elliott Murphy habite Paris depuis une vingtaine d’années.