Chronique

Emmeluth / Osgood

Vandtårnet

Signe Emmeluth (asax), Kresten Osgood (d, p)

Label / Distribution : Motvind Records

Voici le témoignage en trois temps d’une rencontre improvisée entre deux Danois.es : la saxophoniste alto Signe Emmeluth (dont on ne cesse de parler dans nos colonnes et dans toute la presse jazz européenne) et le batteur et pianiste Kresten Osgood, musicien aux multiples collaborations, tant avec les Américains qu’avec les Européens.

Sans qu’il s’agisse d’un fossé de générations (Osgood n’est pas encore quinquagénaire), on sent un rapport respectueux entre les musicien.ne.s, l’un avec une expérience établie qui lui permet d’encadrer, de relancer et de réagir avec malice à la fougue, l’inventivité énergique et la témérité de l’autre.

Enregistré d’une traite à la Koncertkirken de Copenhague, le disque rend bien cette impression de temps suspendu et de fragilité incertaine. Cette ancienne église à la façade typique en forme de tuyauterie d’orgue est simplement devenue une salle de concert, en particulier de jazz et musique improvisée, l’acoustique étant à peine retouchée. Cette réverbération donne à la musique une puissance légèrement mystique.

Les trois parties du concert sont de longueur égale et présentent un schéma narratif assez clair : une première partie d’échanges aériens et cristallins, jouant avec le vide et le silence, assez lente mais lumineuse. Une partie centrale plus charnelle, avec Osgood au piano et à la batterie, qui verse dans la percussion harmonique pour un dialogue coloré et contrasté, des douceurs, des mélodies mais aussi des stries, des clusters. Puis, retour du batteur à ses fûts pour un final en cavalcade avec Signe Emmeluth sur les talons. Enfin, le final laisse entendre un dialogue très équilibré entre une batterie plus ronde et plus rebondissante et un saxophone plus traînant, plus apaisé. Un final aux longues caudalies.

Publié sur le label Motvind (« vent contraire » en danois), ce disque joue aussi avec les mots. Vandtårnet (Château d’eau) est le nom du disque et « Tornebusken » (Buisson Ardent) celui d’un des morceaux. Les deux autres s’intitulent avec ces deux noms inversés et donc perdent leur sens imagé. Comme de dire qu’un vert s’obtient en mélangeant un jaune et un bleu, mais qu’on ne peut plus les séparer une fois qu’ils font le vert. Ici, les deux musicien.ne.s font corps le temps du concert, leur hybridation fait sens. Mais on ne doit pas les séparer.

Cette rencontre improvisée est à mettre à part dans la discographie des deux musicien.en.s et pourtant, rien d’étonnant à ce qu’elle s’inscrive dans leurs parcours respectifs. C’est aussi la preuve supplémentaire de la discrète vivacité de la scène improvisée danoise.

par Matthieu Jouan // Publié le 9 mai 2021
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