Chronique

Erb/Adasiewicz/Roebke

Yuria’s Dream

Christoph Erb (ts, bcl), Jason Adasiewicz (vib), Jason Roebke (b)

Label / Distribution : Veto Records

Sachant qu’il écume la scène de Chicago et accumule les références (dix) dans la collection Exchange de son label Veto Records, on pourrait penser que le saxophoniste ténor - et surtout clarinettiste basse - Christoph Erb a désormais croisé toutes les figures de la ville. On s’étonnera alors de découvrir sur Yuria’s Dream les deux Jason les plus célèbres de la capitale de l’Illinois, qu’il rencontre pour la première fois. C’est en effet un début dans les échanges entre Etats Confédérés pour le vibraphoniste Jason Adasiewicz ; quant à Jason Roebke, il y a un piège. Le contrebassiste partage bien la rythmique avec son indéfectible comparse Frank Rosaly, à la batterie dans The Luzern-Chicago Connection, cinquième volet des échanges entre les villes jumelles… mais c’est le seul disque où Erb ne joue pas.

En se frottant à ces deux Américains, Erb se positionne à la pointe d’un triangle dont les deux autres se connaissent par cœur. Le jeu très rond et pulsatile de Roebke s’illustre dans le quintet Rolldown du vibraphoniste, et l’on perçoit à l’orée de cette pièce unique de près de trois quarts d’heure qu’il n’y aura pas de temps de latence ni d’observation. Les rôles sont immédiatement distribués dans l’atmosphère onirique qui se dessine dans l’instant. Le vibraphone suggère un espace que la contrebasse délimite ; au centre, le saxophone apporte une densité, se frotte aux maillets puis se met à l’unisson de l’archet à mesure qu’Adasiewicz produit des sons plus mats. A l’inverse d’autres rencontres qu’Erb a pu faire en terre chicagoane, il n’y a pas de heurts dans Yuria’s Dream, mais des moments suspendus, presque lyriques lorsque les trois solistes avancent de front dans un climat qui évoque parfois - instrumentarium oblige - les célèbres échanges entre Hutcherson et Dolphy.

C’est notamment le cas lorsqu’au bout d’une quinzaine de minutes, Erb se saisit de sa clarinette basse. Il faut répéter qu’il est l’un des maîtres de cet instrument, et ce disque le démontre une fois de plus. En un instant, le rêve incertain et changeant devient une quiétude chaleureuse que la contrebasse entraîne dans les profondeurs. On ne sait pas qui est cette Yuria, mais son rêve est extrêmement bien construit, par cycles très cohérents. Au milieu de ce long morceau, l’archet prend le dessus dans un moment de détente où le carillonnement du vibraphone peine à troubler le calme de l’onde. C’est la clarinette basse qui rallume les lumières, et le songe devient agité. Paradoxal. Adasiewicz et Roebke se lancent dans une course-poursuite qui mène au réveil, dans un finale qui se révèle être le jumeau de l’ouverture. Réjouissante boucle.