Chronique

Eric Le Lann

Cap Fréhel

Eric Le Lann : tp ; Lionel Belmondo : saxes ; Jean-Michel Pilc : kb ; Richard Bona : b ; Jean-Paul Ceccarelli : dms

Label / Distribution : Universal

Eric Le Lann n’a joué de la musique bretonne que sur un seul album, Origines. Mais cela ne l’a jamais empêché de manifester son attachement à ses racines. À preuve ce « Cap Fréhel », morceau titre de l’album, fougueux comme les vagues qui viennent se briser sur le promontoire rocheux du même nom, frontière ouest de la côte d’Émeraude en Bretagne nord. (Fréhel était aussi le nom de scène de Marguerite Boulloc’h chanteuse réaliste française du XXè siècle.)

De plus, Eric Le Lann est un musicien cultivé. Sa culture ne se limite pas au jazz, ni même à la musique. « Nuit à crédit », ballade hantée par un son de trompette brumeux et mystérieux à souhait, est à l’évidence un hommage à Louis-Ferdinand Céline, écrivain d’origine bretonne, lui aussi passager du vent (on trouve dans Guignol’s Band une description qui enterre à jamais toute chronique de concert de jazz). Le voyage se fait ici en compagnie de jeunes musiciens qui ont fait, depuis, un joli bout de chemin. Jugez plutôt du casting : Lionel Belmondo aux saxophones, Richard Bona à la basse, Jean-Michel Pilc aux claviers. En 1991, date d’enregistrement de cet album réédité en 2006, qui les connaissait ? Belle intuition de la part un musicien qui joue dans le grand orchestre de Martial Solal depuis 1981 et a commencé par un grand prix au concours de La Défense en 1979, à l’âge de 22 ans.

L’ambiance est plutôt électrique, binaire, jazz rock. Miles Davis venait de mourir mais l’aventure de la fusion continuait. Il ne s’agit pas pour autant ici d’une imitation du « Prince des Ténèbres ». Eric Le Lann aime trop Miles pour se livrer à ce vice si répandu chez ses collègues trompettistes. Il plane sur la rythmique comme un goléand au dessus de la Manche. Richard Bona insuffle le groove souverain dont il a depuis gardé le secret. Un Ceccarelli à la batterie, c’est une assurance tous risques. Jean-Paul assure comme un requin de studio new-yorkais. Jean-Michel Pilc est déjà en quête de son saint Graal (écoutez ses dernières notes sur « Nuit à Crédit », le son ahurissant qu’il tire de ses claviers sur « Fooprints »). « Footprints » est d’ailleurs le seul standard de l’album. C’est du Wayne Shorter. Ces gaillards n’ont pas choisi la facilité.

Mais si la fusion domine, cette musique est bien loin de la monochromie source de monotonie. « Marion la nuit » est un superbe duo acoustique piano/trompette, concept cher à Le Lann qui y consacra deux albums (l’un en studio avec Michel Graillier, l’autre en concert à Vannes avec Martial Solal).

Comme Miles, le patron sait s’effacer derrière ses sidemen. Effeuillez donc cette petite « Pâquerette ». Pour achever de convaincre, le groupe rend un hommage particulièrement lumineux et stimulant au grand Bix Beiderbecke : To Bix tout simplement…