Chronique

Eric Mingus

Fog For Forgiveness

Eric Mingus (voc, g)

Label / Distribution : Fort Evil Fruit

En 2000, Eric Mingus venait présenter son premier album Um.. Er... Um sur la scène de l’Olympia, pour le festival des Inrocks. Celui dont le père a marqué la musique du XXe siècle d’une empreinte appuyée, apparaissait à l’âge de 36 ans - après avoir accompagné nombre d’artistes - pour révéler un blues rock très personnel, teinté de jazz et de pop.

D’autres disques en solo suivront, comme Too Many Bullets... Not Enough Soul ou Healin’ Howl, ainsi que de multiples collaborations, sur disque, sur scène, parfois sous forme d’opéra-rock, mais aussi l’écriture de musiques de films, de documentaires ou encore des lectures de poèmes. Installé en Irlande depuis quelques années, le New-Yorkais conçoit désormais sa musique en Europe. A Dublin, où il s’est produit notamment dans l’ancienne prison de Kilmainham, a capella. En Allemagne, on le retrouve aux côtés de Knox Chandler dans le fascinant duo Bursting Blue Bone Bark. Sans oublier les nombreux projets qu’il partage avec son épouse, la saxophoniste Catherine Sikora, incluant deux albums en duo. 

Eric Mingus passe depuis 20 ans sous les radars, et c’est à peine compréhensible. Sans doute est-ce dû au fait qu’il a pour habitude de brouiller les pistes. Chaque disque le fait passer d’une case à une autre, d’univers disparates dans lesquels il dévoile à chaque fois une facette de son art. Un fil conducteur reste cette voix unique, ce potentiel inépuisable, vibrant, débordant d’une énergie puissante, cette même énergie qui caractérise un génial contrebassiste. L’héritage de Charles Mingus est indéniablement vivant dans l’œuvre de son fils. Mais il demeure hasardeux de s’engager sur ce terrain, car rien ne serait plus injuste que de s’y attarder. Eric Mingus a sa propre voie. Il a beaucoup à dire, et sa propre voix pour le dire.

Le disque qui nous intéresse ici se nomme Fog For Forgiveness. Sorti en 2019 sur le label irlandais de cassettes Fort Evil Fruit. Nouvel album en solo, minimaliste dans sa forme, essentiellement vocale, substituée parfois par une guitare, seule là encore. Dans cette recherche d’unité sonore se déploie une immensité, un fond sans fin, qui oriente une introspection, une méditation profonde, guidée par un blues caverneux, épuré jusqu’à n’en garder que la substance principale. Il s’agit sans doute de l’album le plus spirituel d’Eric Mingus, mais aussi le plus insaisissable et indescriptible. La voix est totalement instrumentale et pas un mot n’est prononcé. D’ailleurs les mots manquent pour le décrire, et les rares qui émergent éclatent aussitôt comme des bulles de savon au soleil. Car la rencontre avec cette musique est personnelle, intime et se vit plus qu’elle ne se dit.

Une fois encore, Eric Mingus propose un album qui n’a pas vocation à attirer l’attention sur lui, qui ne cherche pas à faire entrer le prénom de ce grand artiste dans la lumière. Il est de ces disques qu’il faut aller chercher. Il a sa propre lumière, vers laquelle il est pourtant vivement recommandé de se tourner, de temps en temps.