Portrait

Etienne Lecomte, tout en Vrak

Portrait d’Etienne Lecomte, essentiel parmi les essentiels


Etienne Lecomte [c) Frank Bigotte

Etienne Lecomte revient sur son parcours, entre musique classique, musique contemporaine et musique improvisée, une articulation dans laquelle ce flûtiste discret a su trouver sa voie, notamment à travers Vrak trio.

« J’ai commencé la flûte à 9 ans et très rapidement j’ai su que je voulais en faire ma vie ». Pourtant lorsqu’on retrace son parcours, rien ne prédestinait Étienne Lecomte à devenir le musicien qu’il est aujourd’hui. Pas de parents musiciens et une rencontre avec la flûte très circonstancielle. « J’avais un très bon copain du village qui s’était mis à la flûte un an avant. Il me l’a montrée et je me suis dit que c’était ça que je voulais faire. Je n’avais personne qui me poussait à faire de la musique. Par contre mes parents m’ont laissé libre de mes choix et à partir du moment où j’ai fais ces choix ils m’ont soutenu. »

Inscription à l’école de musique de Limoux avec pour professeur Guy Robert. C’est lui qui a été sa première référence musicale – « un incroyable musicien sans frontières stylistiques » dit-il – et quand son prof était absent le mercredi pour cause de concert, Étienne Lecomte était tout ébahi. Un concert, whaou ! c’était extraordinaire. Depuis le flûtiste en a fait, des concerts et, en cette période de disette culturelle, à l’instar d’un monde de la culture unanime, il s’interroge avec espoir sur le devenir du spectacle vivant. Après Limoux, direction Perpignan, le lycée avec un bac lettres et musique ainsi qu’une formation classique au conservatoire. Il a fait toutefois quelques pas de côté en participant à des ateliers organisés par Serge Lazarevitch, ou en montant avec des copains un groupe de rhythm and blues et de funk. « Je relevais du Maceo Parker et je démarchais des lieux pour jouer l’été ». Mais le cœur de sa formation, c’est la musique classique et en perspective le prix du conservatoire. Là aussi, comme à Limoux, c’est une rencontre qui est déterminante. Joseph Vidalou, son prof de flûte, l’aiguille vers le conservatoire d’Orléans où il trouvera un enseignement qui le fera avancer plus encore auprès d’Arlette Biget. A Orléans, « je passais du temps à la médiathèque. C’est là où j’ai beaucoup plus écouté de jazz. C’était il y a 25 ans, j’écoutais notamment tous les ONJ. J’aimais cette modernité. J’aimais la masse orchestrale, j’aime toujours ça. D’où l’ONJ. Et puis j’allais fouiller dans la discographie des musiciens de ces orchestres. ».

Etienne Lecomte (c) Frank Bigotte

Le prix de conservatoire décroché, Etienne Lecomte file à Paris, à la fois pour rencontrer d’autres musiciens et pour s’inscrire au Centre de Formation des Enseignants de la Musique. Il est embauché au conservatoire du IXe arrondissement. A l’occasion d’un cours, Arnaud Bessis lui dit de faire son « truc ». Les paroles de Bessis arrivent à point nommé. Démission donc et direction Orléans pour développer son « truc ». Mais c’est quoi son truc ? « J’ai envie de te dire que chaque oreille et chaque cœur de tout individu pourra le définir. Moi je n’en sais rien. Peut-être articulation entre contemporain, le classique et la musique improvisée ? »

lorsqu’on est flûtiste, il ne faut pas s’attendre à être appelé

Parallèlement il avait créé à Rouffiac d’Aude le festival Mosaïques avec une programmation de musique classique, musique contemporaine et jazz. Le festival avait développé alors un partenariat avec Jazzèbre et accueille des concerts de son grand-frère perpignanais. C’est à l’occasion d’un de ces concerts qu’il voit le quartet de Didier Labbé. Un coup de fil au saxophoniste toulousain et il décroche les coordonnées du tubiste du quartet. C’est Laurent Guitton avec lequel Étienne Lecomte fonde quelque temps plus tard Vrak trio. Car, lorsqu’on est flûtiste et notamment dans les années 1990-2000, il ne faut pas s’attendre à être appelé. Dans le milieu du jazz, on cherche des saxophonistes, des trompettistes mais des flûtistes très rarement. D’autant plus qu’il vient du classique et qu’il n’est pas dans les réseaux qu’il faut. Aussi, au lieu d’attendre d’être appelé, il fonde ses propres projets et décroche le combiné. Il quitte l’Aude et s’installe à Barcelone où il rencontre le batteur Oriol Roca. Ce sera le troisième larron de Vrak trio qui reste sa colonne vertébrale et artistique. Toutes les idées - et elles ne sont pas souvent conventionnelles : pour preuve l’orchestration flûte, tuba, batterie du trio – y trouvent une place. Lors d’une pause en répétition, Oriol Roca et Laurent Guitton lui disent qu’ils entendent quelque chose de John Zorn dans sa musique. Étienne Lecomte n’en n’avait jamais entendu parler. Sa culture musicale, c’était une multitude de choses au sein desquelles Magic Malik était fondamental. Il écoute alors Zorn en boucle. « J’ai écouté tous les Masada, la musique pour cordes de Zorn. Ce qui m’a interpellé, c’est sa manière d’être sans frontière. En entendant sa musique, je pouvais être un musicien classique avec la liberté de création. De la même manière que Malik légitimait ma place comme flûtiste de jazz, écouter Zorn, ça m’a boosté pour créer dans quelque chose de non conventionnel. » Et puis Vrak va provoquer des rencontres : Jaime Pantaleón, Radek Knop, Noël Akchoté.

Etienne Lecomte (c) Frank Bigotte

Bien entendu, il développe d’autres projets, dont Tolv avec le guitariste barcelonais Jaime Pantaleón. Ou encore Nomades, une aventure commencée il y a trois ans. L’exil syrien le marque. Il aimerait s’investir mais ne sait pas comment. Il cherche des associations mais à Narbonne, on est loin des structures. Il envisage d’aller en Grèce mais ce dont on a besoin c’est d’infirmiers. Lui est musicien. Il monte donc un projet. « Je ne pouvais pas faire autre chose de là où j’étais. » Mais Nomades vient aussi en écho à sa pratique de la marche. « Je me suis mis à marcher pour réfléchir et pour m’alléger il y a sept ans. Pendant longtemps j’ai marché comme un dératé. Maintenant je marche pour mon plaisir. Je marche beaucoup. J’ai commencé depuis plusieurs années une traversée des Pyrénées à pied. J’ai marché sur les chemins de Saint-Jacques. Mais c’est une marche de luxe car quand je reviens, ma maison est là. Elle n’est pas brûlée. Cet aspect nomade me fait prendre du recul sur ma vie matérielle. La pensée va avec les pas. Dans Nomades il y a tout ce que j’ai dit sur la Syrie mais aussi l’idée de ne pas rester figé sur son mode de pensée, être en évolution. Notre travail artistique nécessite ça, d’aller plus loin que ce qu’on sait faire. »

Dernièrement, le percussionniste Jean-Pierre Jullian, avec lequel il avait monté Madame de Butternut, l’a appelé (et bien, voilà, ça arrive) pour un travail avec le guitariste Patrice Soletti et le dramaturge Pierre-Jean Peters. Un travail autour de L’Étranger de Camus sur lequel les musiciens improvisent. Et Jullian l’a appelé une seconde fois pour un projet musical avec Claude Tchamitchian, Guillaume Orti et Tom Gareil. Et quand il cite ce dernier, il évoque Le Sens de la Marche et l’influence salvatrice de Marc Ducret. « C’est un musicien qui m’a ouvert la tête, les yeux et les oreilles. »