Scènes

Fathy Salama & Sharkiat : du jeel au jazz…

Compte-rendu de concert le 24 mars 2004 au Centre Culturel El-Sawy du Caire.


Concert avec, entre autres, Fathy Salama (synth), Ayman Sedki (perc), Ramadan Mansour (perc), Ahmed Al Gazar (perc)

Le jazz a bien du mal à se faire une place en Égypte, entre la pop moyen-orientale et la variété américaine ! Fathy Salama est l’un des rares - avec le batteur Yehia Khalil - à avoir réussi à se faire un nom en sacrifiant parfois, il est vrai, la qualité sur l’autel de la popularité…

Après des études de piano classique, puis un voyage en Europe et aux Etats-Unis pendant lequel il découvre le jazz, Fathy Salama se tourne dans un premier temps vers la « jeel » (prononcer « guiil »). C’est dans cette musique pop d’origine égyptienne, basée sur les gammes arabes et, le plus souvent, sur un rythme en 6/8, qu’il va développer son goût pour l’électronique et la programmation. A la fin des années 1980, soucieux d’évoluer vers une musique plus élaborée, il crée Sharkiat dont l’objectif est de jouer un cocktail de musique traditionnelle, de pop égyptienne et de jazz. Avec Sharkiat, Fathy Salama a joué dans de nombreux pays, dans des contextes très variés : des festivals (comme Les Transmusicales de Rennes), mais aussi des clubs (dont Le New Morning), des centres culturels, etc.

Le concert de Sharkiat avait lieu sous un pont - Sonny Rollins apprécierait ! - dans une salle du Centre Culturel El-Sawi. Le public, composé en grande majorité d’adolescents et d’étudiants, laissait présager un cocktail où la pop allait probablement prendre le pas sur le jazz - Sonny Rollins apprécierait sans doute moins…

Et ce qui devait arriver arriva, car après une première partie dans un style qu’on peut qualifier de « jazz-fusion oriental », le concert sombra dans la variété avec la prestation de Karima Nayt, chanteuse dont la voix et le phrasé font certainement fureur dans les boîtes de nuit de la capitale égyptienne…

Mais revenons sur la première partie du concert, qui comporte plusieurs aspects positifs. Premier intérêt, la composition de l’orchestre ; un « dodécaband » - toute similitude avec Martial Solal s’arrête là ! - qui mélange les instruments européens, comme le synthétiseur de Fathy Salama, une basse électrique, une flûte traversière, un saxophone ténor, un accordéon et un violon, et les instruments traditionnels égyptiens. Ces derniers sont représentés par Ayman Sedki entouré de ses djembés, congas, doufs [1] et d’une charleston, Ramadan Mansour à la darbouka [2] (ou au douf selon les morceaux), Ahmed Al Gazar et ses saggat [3], un joueur de tabla [i] et un joueur de qanoun [4]. Patchwork d’instruments prometteur !

A Night in Egypt - © Ralf McCullan

Deuxième intérêt : les thèmes, mélodieux sans tomber dans la mièvrerie, avec des mélopées langoureuses ou un peu molles qu’on entend à la radio, en grande partie grâce au soutien des percussionnistes, dont l’accompagnement est très varié. Il est d’ailleurs regrettable que le groupe exploite si peu ces thèmes. En effet, les improvisations, à quelques exceptions près, manquent de corps, et on revient rapidement à des exposés à l’unisson, un peu répétitifs à la longue.

Troisième intérêt : quelques chorus intéressants, notamment par l’accordéoniste - dans un style traditionnel efficace -, le joueur de qanoun - dans un solo a capella plus « classique » que « jazzy » - et, surtout, un formidable passage où les trois percussionnistes se renvoient la balle en jouant sur toute l’étendue des registres, tant rythmiques que sonores avec, en particulier, une improvisation impressionnante de Ramadan Mansour. À noter aussi, un solo d’Ahmed Al-Gazar avec ses saggat, anecdotique mais amusant.

On regrette que le jeu du bassiste manque de souplesse, et que la sur-amplification de sa basse noie trop souvent l’ensemble dans un magma sonore. Fathy Salama, lui, est apparu plus à son avantage comme leader que comme claviériste, car son jeu semble plutôt confus et ses sonorités floues. Là encore, la sono y est probablement pour quelque chose ! Quant à la flûtiste, si ses chorus très courts ne permettent pas d’apprécier réellement ses talents d’improvisatrice, en revanche son jeu apporte un relief incontestable à l’exposition des thèmes. Pour ce qui est du violoniste, ses interventions sont tellement brèves ou noyées dans la masse que son jeu passe à peu près inaperçu. Enfin, la présence du saxophoniste ténor sur scène reste encore une énigme !

Les gorgées agréables sont trop rares pour que le cocktail proposé par Fathy Salama soit tout à fait désaltérant ! C’est d’autant plus frustrant que l’on sent clairement que la musique et les instruments traditionnels égyptiens pourraient permettre de développer une musique improvisée susceptible d’étancher notre soif de nouveaux sons…

par Bob Hatteau // Publié le 3 mai 2004
P.-S. :

Pour en savoir plus

Le site de Fathy Salama

Note : la transcription des noms et des mots arabes en alphabet latin peut varier d’une source à l’autre.

[1Douf : tambour constitué d’une peau tendue sur un cadre qui mesure entre quarante et soixante centimètres de diamètre. Le douf a un son plus sec et clair que celui de la darbouka, qui le rapproche assez de celui d’une caisse claire, volume sonore en moins.

[2Darbouka : cet instrument à percussion, clé de la musique traditionnelle arabe, est composé d’une caisse de résonance creuse d’une soixantaine de centimètres qui, en Égypte, est souvent en céramique, et sur laquelle est tendue une peau. On en joue généralement assis, en la posant sur la cuisse. Elle permet de produire un son sourd - « dum » - et un son clair - « tek » - qui peuvent être soit courts, soit longs, et qui, joués en alternance, vont déterminer les motifs rythmiques.

[3Saggat  : petites cymbales métalliques dont on joue un peu comme des castagnettes.

[iTabla  : nom donné à la darbouka égyptienne, qui se compose d’un fût en aluminium et d’une peau synthétique (à ne pas confondre avec la tabla indienne).

[4Qanoun : sorte de cithare trapézoïdale formée d’une caisse de résonance peu profonde sur laquelle sont tendues entre 64 et 82 cordes, qui peuvent être doublées ou triplées. En général le qanoun couvre trois octaves et, en Égypte, se joue avec tous les doigts, l’extrémité en étant recouverte d’une sorte de dé à coudre. Sa sonorité est plus aiguë et plus sèche que celle de l’oud.