Chronique

Filippo Deorsola - Anaphora

[Bloom]

Filippo Deorsola (p), Marco Luparia (d), Jonathan Ho (b).

Label / Distribution : Loumi Records

Pianiste italien·ne revendiquant son identité queer, Filippo Deorsola complète sa pratique musicale par une activité de chercheur·se en philosophie. Iel développe notamment une réflexion sur la place de l’artiste dans un monde contemporain traversé par des problématiques de rapport au corps, à la technologie, à l’information et aux genres sexuels.

En tant que personne queer notamment, et musicien·ne non-binaire, iel s’est en effet interrogé·e sur le positionnement que gênerait son identité queer. La place d’une personne queer à l’extérieur des cadres préétablis par des institutions qui répartissent, d’un côté, le normal et le légitime et, de l’autre, l’étrange et l’exclu est, de fait, pour ellui, une réflexion enrichissante. C’est en effet en se situant dans les zones marginales où les attributions des individus volent en éclats qu’une liberté radicale peut émerger, plus créative que celle se construisant dans un environnement normé, et qui produit ainsi une affirmation positive d’être au monde. À sa manière, le jazz a fonctionné ainsi en se développant au sein d’une communauté Africaine Américaine, à la fois au cœur de l’industrie du divertissement américain du XXe siècle, et dans le même temps mise au ban de la société. Bref, Deorsola a des choses à penser et à dire.

Et aussi à jouer. Avec son trio Anaphora dont c’est ici le deuxième disque, iel donne à entendre là encore une musique hybride, qui emprunte au jazz bien sûr mais tout autant au gamelan (Jonathan Ho, à la basse, est d’origine singapourienne), à la musique répétitive et, plus près de chez nous, à un Benoît Delbecq (qui, au passage, est l’auteur du mixage de ce disque) puisque Deorsola est également adepte du piano préparé.

Au sein de ce trio, iel donne à entendre une musique axée sur des cellules obstinément répétées. En leur conférant une mobilité constante par l’usage de variations entre la basse, le piano et la batterie très pulsatile de Marco Luparia, la dynamique générale est maintenue et la circulation du sens, comme le renouvellement d’une tension souple, toujours entretenue.

Rien d’étouffant pour autant dans cette musique qui privilégie l’espace et le survol de l’attention. Par un choix harmonique poussé mais immédiat les trois musicien.nes produisent des effets de clarté, que complètent des sons périphériques (cloches, objets, etc.) ; un groove implicite innerve par ailleurs les soubassements de cette série de compositions à la sérénité aussi pleine que stimulante.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 27 avril 2025
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