Chronique

Fiona Monbet

Maelström

Fiona Monbet (dir. v), Zacharie Abraham (b), Auxane Cartigny (p), Philippe Maniez (d) + Rozarta Luka : v1, Elsa Moatti : v2, Julia Macarez : va, Gauthier Broutin : cello, Maxime Giraud : fl, Florent Pujuila : clar, Johann Nardeau : tr, Emile Carlioz : cor

Label / Distribution : Fo Feo Productions

Fiona Monbet est une violoniste phénoménale, dotée d’un large éventail de nuances. Ses références, surtout dans le domaine du jazz, sont incontestables : le regretté Didier Lockwood a déclaré un jour que la musicienne franco-irlandaise était sa « fille spirituelle », mais ses influences sont bien plus larges que cette déclaration ne le suggère. Son précédent album, Contrebande (Crescendo, 2018) l’a confirmée non seulement comme une forte personnalité musicale, mais a aussi montré des preuves de sa polyvalence.

Aujourd’hui, près de quatre ans après la sortie de l’album, elle dit avoir donné son tout dernier concert « Contrebande » avec le guitariste Antoine Boyer. Sa musique a évolué, elle a pris du poids et de l’ampleur. On constate qu’elle a bien réussi à développer sa carrière. Non, oubliez cette phrase, car ce n’est pas vraiment ça : elle a TROIS carrières.

Comme le précise le communiqué de son nouvel album, Maelström (Fo Feo Productions), elle est désormais « violoniste, compositrice et cheffe d’orchestre ». Et ces trois fonctions sont authentiques ; elle les exerce au plus haut niveau. En tant que compositrice, la liste de ses œuvres pour le cinéma s’allonge. En tant que chef d’orchestre, elle est très active en France et occupe un poste de direction à l’Orchestre national de Bretagne aux côtés de Grant Llewellyn. Elle a également créé un opéra à Dublin et se prépare à donner un concert au Royaume-Uni, avec un programme fascinant en collaboration avec l’Orchestre national du Pays de Galles de la BBC, à Cardiff le 29 avril, un événement qui lui fera jouer les trois rôles.

On peut le constater avec Maelström, c’est le grand format qui l’attire. Comme elle l’a déclaré lors d’une récente interview : «  J’ai un amour de l’analyse des partitions et un désir de comprendre les mécanismes d’écriture des œuvres que je dirige. J’ai découvert un royaume infini avec la direction d’orchestre. […] mais le répertoire des grands orchestres me bouleverse par-dessus tout.. » Et c’est bien là le chemin qu’emprunte la majeure partie de Maelström. Le grand ensemble lui offre toutes sortes de possibilités expressives, aussi bien comme compositrice que comme soliste principale.

Le morceau le plus ambitieux et le plus atmosphérique se trouve sans doute vers la fin de l’album. « Cantus Carminis » commence par une improvisation de Monbet sur un « cantus firmus » chromatique du violoncelle, puis les textures s’épaississent et s’approfondissent inexorablement, l’urgence augmente, le jeu de violon prend des airs de Jean-Luc Ponty et Monbet, en tant que soliste, fait des glissés rapides sur plusieurs cordes et des arpèges qui se croisent, puis, avec l’entrée des cuivres, on a un sentiment de plus en plus triomphant et héroïque d’arriver à destination. C’est vraiment joyeux. La fin « secco » est curieuse, avec le son du piano en retrait et en écho (la pianiste est l’excellente Auxane Cartigny, également conseillée et soutenue par Didier Lockwood). Ce morceau débouche sur une ambiance totalement différente : le calme de la dernière piste « Cerise », un duo intime avec Cartigny.

D’autres morceaux sont notables en raison des différentes directions qu’ils prennent, parfois comme chemins de traverse. « Tango Castagneri » est, comme le titre l’indique, entièrement consacré aux cordes [1]. Monbet veut que la section des cordes mérite son cachet : elle les fait filer à une vitesse folle, puis soudain, le son éclatant de l’excellent corniste Emile Carlioz. « Um Sonho » et « Bossarama » sont tous deux imprégnés du souffle brésilien, mais dans le premier cas, on se retrouve soudainement et brièvement dans le premier mouvement du « Quatuor à cordes » de Ravel, et dans le second, Monbet joue avec le violon en imitant des hoquets vocaux. Il y a aussi des petits jeux amusants avec le matériau thématique. Dans « Irish Gospel », après un début lyrique et simple au piano, Monbet emprunte des mélodies connues de musiques de films : une citation de « Moon River » de Henry Mancini se love dans une étreinte calme et volontaire avec « Take My Breath Away » de Giorgio Moroder. On retrouve sur plusieurs morceaux un des jeunes clarinettistes français les plus en vogue, Florent Pujuila, qui fait souvent office de contrepoids discret et calme à la fougue de Monbet.

Une autre jeune star du violon européen a récemment déclaré que si les virtuoses du passé étaient condamnés à jouer beaucoup de notes, le virtuose moderne doit « incarner différentes émotions - faire en sorte que chaque note ait sa propre histoire. » Fiona Monbet suit un parcours similaire, mais pas identique. Ce que Maelström montre, c’est qu’elle est une musicienne armée pour jouer une musique authentique et personnelle, à sa manière. Et cet album, avec son riche contenu et ses nombreuses ambiances, est une étape importante dans ce cheminement.