Chronique

Flat Earth Society

13

Label / Distribution : Igloo

Figure de la scène jazz européenne et compositeur pour la danse recherché, le clarinettiste Peter Vermeersch anime depuis plus de treize ans une formation ébouriffante d’énergie. La Flat Earth Society (FES) est née sur les cendres de X-Legged Sally, un des vaisseaux amiraux du jazz belge des années 90. On y trouvait déjà de fidèles compagnons tels le guitariste Pierre Vervloesem ou le trompettiste Bart Maris (remarqué aux côtés de Viktor Tóth ou d’Edward Perraud), devenus des pierres angulaires d’un orchestre qui n’a rien à voir avec une quelconque société savante où l’on se retrouve pour discuter du monde comme il va.

Il est de coutume, dit-on, de fêter les dizaines. Mais ça ne ressemble pas à la FES, qui préfère célébrer le 13, nombre iconoclaste et premier sous le signe duquel cet album est rangé. 13 morceaux, 13 ans, 13 albums... Et quinze musiciens, histoire de cultiver la pointe de contradiction d’une musique pleine d’humour dont les mathématiques sont plus proches de Lewis Carroll que de la médaille Fields. A l’instar d’un Laurent Dehors, avec qui il partage un goût pour les ruptures soudaines et l’approche lyrique (« Stoptime Rag », version vitaminée d’un morceau de Scott Joplin), on sent dans l’écriture de Vermeersch une volonté de s’appuyer sur la dynamique de l’orchestre et le frottement des timbres. Néanmoins, en conservant ses allures de fanfare jetant un pont entre Bruges et La Nouvelle-Orléans, la FES s’inscrit dans un propos où la pop n’est jamais loin.

Dès « Experiments In The Revival Of Organisms », qui ouvre l’album sur le tuba de Berlinde Deman, il semble que l’orchestre soit soudain balayé par une avalanche de rythmes qui s’accélèrent en approchant de la chute, représentée par les clusters tonitruants de Peter Vandenberghe. Le pianiste, avec le contrebassiste Kristof Roseeuw et le batteur Teun Verbruggen [1], composent une base rythmique d’une solidité presque incongrue. Elle soutient une musique qui aime s’enferrer dans les basses, jusqu’au chaos de « Fast Forward ». C’est également ce goût des basses, illustré par le saxophoniste baryton Bruno Vansina, qui anime la course-poursuite extatique de « Raincheck ». Vermeersch vient ajouter, de sa voix caverneuse, une touche de cabaret qui fait parfois songer aux atmosphères colorées de Hildegard Lernt Fliegen.

Les musiciens se lancent, sans pauses inutiles, dans une musique qui galope de narrations rebondissantes en tirades frénétiques (« Domination Of Black ») trahissant le goût de Vermeersch pour les ambiances cinématiques et pour la narration même si « Sneak Attack Of The Sponges », par exemple, se joue de ces codes. La puissance de cet orchestre, l’agilité insolente avec laquelle il change d’atmosphère fait de 13 un disque tout à fait addictif. Conçu comme un jubilé, il remplit parfaitement sa mission ; on y pénètre avec beaucoup de jubilation.

par Franpi Barriaux // Publié le 18 mars 2013
P.-S. :

Stefaan Blancke (tb), Benjamin Boutreur (as, rec), Berlinde Deman (tu, voc), Bart Maris (tp), Michel Mast (ts), Marc Meeuwissen (tb), Kristof Roseeuw (b), Peter Vandenberghe (cla), Luc Van Lieshout (tp), Bruno Vansina (bs, fl), Teun Verbruggen (dms), Peter Vermeersch (bcl, voc), Pierre Vervloesem (g), Wim Willaert (acc, cla), Tom Wouters (bcl, vib).

[1Ils se produisent par ailleurs en trio au sein de Too Noisy Fish.