Entretien

Francesco Bearzatti, le Transalpin

Entretien avec Francesco Bearzatti à l’occasion de la sortie de « Zorro », son dernier album avec le Tinissima quartet

Francesco Bearzatti © Gérard Boisnel

Présent dans la galaxie jazz depuis la fin des années 1990 en tant que leader, le saxophoniste Francesco Bearzatti a développé plusieurs projets de part et d’autre des Alpes. On a eu l’occasion de l’entendre (et le voir) avec Emmanuel Bex, Enrico Rava, Federico Casagrande pour ne citer qu’eux. Et puis il a constitué le Tinissima quartet, initialement consacré à la mise en musique de la vie de la photographe Tina Modotti, mais qui a depuis peint et dépeint d’autres grandes figures du XXe siècle. Ainsi, après avoir fait le portrait de Malcolm X et associé Monk et le rock, il s’est emparé de Zorro.

- Vous venez de publier Zorro, un album dans lequel vous narrez l’histoire de ce personnage. Auparavant, avec le même quartet, vous aviez raconté la vie de Tina Modotti, puis celle de Malcolm X. Est-ce que vous envisagez la musique comme une implication politique ?
Je suis engagé mais ce sont les histoires de ces personnages qui m’ont inspiré et qui me procurent de l’émotion. Par hasard ils sont tous du même bord politique mais c’est un hasard. Ce n’est pas une démarche militante de ma part. Le plus souvent l’inspiration me vient des livres. Je voyage beaucoup et dans les hôtels ou les aéroports au lieu de prendre le smartphone et d’être sur Facebook ou ce genre de conneries, je lis et c’est là que je tombe amoureux de ces personnages. Pour Zorro, c’est le livre d’Isabel Allende qui a été le point de départ.

- Ce sont pourtant des figures de justiciers ou de militants. Dans This Machine Kills Fascists, on imagine là encore un parti pris militant. D’ailleurs dans cet album figure une évocation de Sacco et Vanzetti.
Oui, c’est vrai mais pour Sacco et Vanzetti, c’est Ballads of Sacco & Vanzetti de Woody Guthrie qui a été à l’origine de mon morceau. Je n’ai pas spécialement fait un morceau sur ces anarchistes. C’est l’album de Guthrie qui m’a donné l’occasion d’en parler. L’inspiration vient de là. Plus précisément, il est plus juste de dire que, inspiré par le travail de Woody Guthrie, j’en ai profité pour rendre hommage et me souvenir des deux anarchistes italiens.

Francesco Bearzatti © Pierre Vignacq

- Votre discographie en tant que leader est maintenant très riche. On y trouve des albums complètement acoustiques, je pense par exemple au duo avec Federico Casagrande ou Dear John, mais aussi des partis pris électroniques. J’imagine que vous avec été nourri de quantités de musiques.
Oui, tout à fait. Quand j’ai commencé la musique, je jouais dans mon village en Italie du folk italien et populaire. En même temps, j’écoutais beaucoup de pop italienne et de pop internationale, du blues, du rock. C’est par la fusion que je suis arrivé au jazz, en écoutant des groupes comme Weather Report par exemple. J’ai aussi étudié la musique classique au conservatoire. Vers vingt ans, j’ai eu l’occasion de jouer la musique électronique de l’époque en plus du blues, du free jazz et d’autres encore.

- Vous pouvez électrifier votre saxophone et le faire sonner comme une guitare électrique, lui donnant alors un aspect rock. C’est une manière originale de faire sonner votre instrument.
La guitare électrique a été mon instrument préférée quand j’étais jeune. A l’époque je jouais de la clarinette mais j’aurais aimé jouer de la guitare. Ce n’étaient pourtant pas les guitaristes spectaculaires qui m’attiraient car j’aime la musique qui chante. Pas le spectaculaire, pas la technique. Je maîtrise la technique mais ce n’est pas l’objectif. C’est un moyen.

Je maîtrise la technique mais ce n’est pas l’objectif. C’est un moyen.

- Votre parcours musical vous situe à la fois sur les scènes française et italienne. J’imagine que c’est une richesse.
Ah oui ! Tous les musiciens avec lesquels j’ai joués m’ont toujours appris. Que ce soit Louis Sclavis, Henri Texier, Emmanuel Bex, Aldo Romano pour les Français, Enrico Rava par exemple pour les Italiens ou des musiciens américains, j’ai toujours appris des trucs et pris des trucs. Jouer avec les autres me permet d’apprendre. Autant qu’à l’école. Jouer avec les autres, c’est une autre école, c’est la seconde école. Peut-être même la plus importante. Et puis il y a beaucoup de musiciens qui m’ont influencé sans que j’aie joué avec eux. Que ce soit Jimmy Page par exemple et du côté des saxophonistes Ben Webster, Lee Konitz, Sonny Rollins, John Coltrane et plus tard Stan Getz.

- Justement, à propos de John Coltrane et Sonny Rollins, on trouve trace d’eux dans vos disques - je pense à l’album Dear John et, pour Sonny Rollins, Suspended Steps, votre premier album en tant que leader.
Oui, et j’ai beaucoup étudié les deux. J’ai beaucoup relevé, j’ai imité aussi. Et à la fin, j’essayais de tout oublier pour avoir mon propre style. Ils comptent pour moi, c’est sûr mais surtout je ne veux pas les copier. Je n’aime pas les musiciens qui jouent comme leurs prédécesseurs. Tel qui joue comme Michael Brecker par exemple, ça ne m’intéresse pas. Je n’aime pas l’imitation. J’aime quand on fait sa propre voie dans la musique.

Francesco Bearzatti © Christophe Charpenel

- Parmi les saxophones, vous jouez majoritairement du ténor. Vous pratiquez également le soprano et la clarinette. Là encore, j’imagine que c’est un choix délibéré.
C’est vrai. Au début des années 2000, je jouais beaucoup de soprano aussi. Mais j’en joue beaucoup moins tout simplement parce qu’en voyage il est difficile de prendre avec soi plein d’instruments. Je voyage souvent en train, des fois en avion. Si en Italie j’ai ma voiture, en France, je n’en ai pas. J’ai donc sélectionné un saxophone et c’est le ténor que j’emporte en plus de la clarinette. Le soprano est plus petit et moins encombrant mais j’ai choisi le ténor car il correspond mieux à mon jeu. Le soprano sonne trop aigu pour mon jeu. Je l’utilise moins, sauf pour de la musique ethnique.

-Vous avez été en 2014 à l’initiative des Sunday Jazz Lofts. Immanquablement on fait le lien avec la situation du spectacle vivant en temps de COVID. J’imagine qu’à l’origine il s’agissait d’organiser des concerts au plus près du public.
Oui, c’est ça. Je voulais jouer avec le public autour de moi. Mais surtout, c’est l’occasion de jouer avec des musiciens que je ne fréquentais pas beaucoup. Au début j’ai invité des musiciens avec lesquels j’ai l’habitude de jouer. Il y a eu Michel Benita et Emmanuel Bex. Mais ensuite, j’ai invité des musiciens avec lesquels je n’avais pas l’habitude de jouer. Ça m’a permis d’organiser des rencontres. Parler des Sunday Jazz Lofts, ça me permet de remercier Fred Blanc qui prête son loft pour les concerts. Mais pour l’instant, à cause de la situation sanitaire, on a tout arrêté. Le dernier concert a eu lieu en février et dès que la situation le permettra je continuerai à organiser les Sunday Jazz Lofts.