Chronique

François Chesnel Quartet

Kurt Weill Project

Ariel Mamane (dms), Eric Surménian (b), François Chesnel (p), Yoann Loustalot (tp, bugle)

Label / Distribution : Le Petit Label

Kurt Weill a toujours exercé une forte attraction sur les musiciens de jazz (Miles Davis, Carla Bley, Gil Evans, Joachim Kühn, sans oublier Louis Armstrong, Eric Dolphy, Sonny Rollins…). Ainsi s’est constitué un « Songbook » de plus de deux cents versions de « Speak Low », « Mack The Knife » ou « September Song », et quelques variations moins nombreuses de « My Ship », « Lost In The Stars », « Alabama Song », « Surabaya Johnny », « Lonely House », « Bilbao Song ».

Weill se satisfait du mélange des genres, du jazz à la variété, en passant par l’opéra, le classique, et la comédie musicale. Du jazz il retient la force de cette nouveauté venue d‘un autre continent, le rythme syncopé, la trompette dans l’aigu, le banjo ou la guitare qui rythment complaintes ou tangos… Le sens du drame, la couleur, le lyrisme caractérisent le monde musical particulier de ce compositeur exilé.

On ne s’étonnera donc pas de ce que le pianiste François Chesnel et son quartet décident d’esquisser un subtil hommage.
C’est à une musique raffinée, balade nostalgique et rêveuse que nous convie le groupe, le genre introspective qui convient aux dimanches pluvieux, quand on à tendance à regarder dans le rétroviseur de sa vie. Yoann Loustalot n’est pas pour rien dans ce « Trouble », au cœur de la mélancolie, qui nous saisit dès le premier morceau. Expérimentateur, subtil accompagnateur, ce trompettiste a un son, quelque chose qui retient l’attention.

On se rapproche du jazz tel que la concevait Kurt Weill avec le second titre « Wie Lange Noch », version nuancée et intimiste du cabaret berlinois revisité par Hollywood. C’est le batteur-coloriste Ariel Mamane qui mène la danse, impulsant un rythme chaloupé, claudiquant. « La ballade de l’esclavage des sens » est le seul morceau chaotique, déstructuré, avec arrangements plus fous, des assonances bienvenues dans le dérèglement des sens d’une rythmique tournoyante.

C’est que l’on découvre chacun des intervenants dans cet espace de jeu à leur mesure. Quand apparaît enfin « Speak Low », un des tubes de Kurt Weill, repris par le gratin des chanteuses - de Lotte Lenya, sa propre femme à Chris Connor ou Ute Lemper-, l’exposition fidèle du thème permet de se régaler de cette mélodie, poignante dès les premières notes… Sur quoi le trio piano-basse-batterie s’en donne à cœur joie, accélérant le rythme, explosif et coloré. Eric Surmenian exulte à la contrebasse, à l’archet sur l’intro du très fin-de-siècle « Liebeslied », mais chante aussi avec délicatesse.
La dernière composition est du grand trompettiste polonais Tomasz Stanko, aventurier de la musique « révolutionnaire », du jazz free et improvisé des Seventies. Mais son « Soul of Things » ne dépareille pas : Kurt Weill se voulait « populaire » dans le bon sens du terme, c’est-à-dire accessible et néanmoins engagé.

Le disque a été enregistré le 1er avril 2007 au D.O.C. (14) par Eric Surménian, en prise directe, avec deux micros. Le résultat est un son délicat, délicieusement « rétro » par moments, qui ne perd jamais sa force de conviction.