Chronique

François Salque & Vincent Peirani

EST

François Salque (cello), Vincent Peirani (acc)

Label / Distribution : Zig-Zag Territoires

Il n’était pas acquis de lire un jour le nom du violoncelliste François Salque dans notre magazine. Le parcours doré de ce jeune et prodigieux musicien s’inscrit avant tout dans la musique classique, du quatuor Ysaÿe dont il tint durant cinq ans le violoncelle aux collaborations avec des compositeurs contemporains comme Bruno Mantovani, le tout en s’attirant des commentaires dithyrambiques de Boulez ou Dutilleux [1]. Mais il faut faire confiance aux rencontres et aux ouvertures d’esprits. Les chemins traversiers sont ceux qui permettent le plus de découvertes, d’émotions inouïes et de langages nouveaux. C’est ainsi que le duo avec l’accordéoniste Vincent Peirani, plutôt estampillé « jazz », s’est fondé autour d’une approche commune de la musique. EST, fruit de cette rencontre est en quelque sorte un « duo de chambre » qui visite un « EST » bien vaste, un Orient fantasmé autour des Balkans et de l’Empire austro-hongrois, mâtiné de multiples expériences et influences. Il faut entendre pour s’en convaincre le magnifique « Yiddish » composé par le guitariste Samuel Strouk, qui se joint parfois à Salque et Peirani, avec la même émotion [2].

Le duo entre ces deux virtuoses aurait vite pu tourner à la démonstration ; il n’en est rien. Peirani se fait mélodiste et rêveur, et on retrouve le jeu évanescent de Gunung Sebatu, son précédent album. Quant à Salque, il est tout simplement phénoménal., tour à tour violon (« Medley sur des thèmes roumains », d’après des improvisations de Stéphane Grappelli [3]), guitare bluesy (l’étonnant « Baikal » composé par le flûtiste Jocelyn Mienniel), voix chantante ou encore rythmique d’archet…

La démarche rappelle les glorieux ancêtres : Kodaly et surtout Bartok, à qui le duo rend hommage en un final de « Danses populaires roumaines » étincelant de couleurs et d’émotions. On sait que ces deux compositeurs ont beaucoup influencé les improvisateurs européens [4]. La recette est simple. Elle transcende la musique traditionnelle pour une parvenir à une épure d’émotion. Elle recherche de la note juste et sans emphase, suc du sentiment. Elle développe une musique nomade qui voyage au gré des notes dans des folklores façonnés ou hybridés par les créateurs.

Car la grande trouvaille de ce duo, hormis cette capacité à travailler les timbres au plus précis, c’est d’avoir fait appel à de jeunes compositeurs venus d’horizons divers (Mienniel et Strouk, mais aussi Krystof Maratka, tous trois trentenaires) pour évoquer ces musiques populaires passées au tamis de l’écriture savante. Certains y chercheront le jazz ; les plus sensibles y trouveront un pur bonheur musical.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 avril 2011

[1« Un charisme et une virtuosité exceptionnels » (Boulez) et « Un interprète particulièrement sensible qui interprète la musique de notre temps avec une grande intelligence. » (Dutilleux) ; citations figurant sur le site de Salque.

[2En vidéo.

[3En vidéo.

[4Voir récemment le très bel Hommage à Kodaly de Mihaly Borbely dans une veine cousine.