Chronique

Fred Frith & Barry Guy

Backscatter Bright Blue

Fred Frith (g), Barry Guy (b)

Label / Distribution : Intakt Records

On s’étonnera de découvrir Backscatter Bright Blue presque huit ans après sa captation en 2007. En effet, la rencontre entre ces deux légendes anglaises que sont le guitariste Fred Frith et le contrebassiste Barry Guy sort aujourd’hui sur le label Intakt Records alors que, ces dernières années, elle n’apparaissait dans les discographies officielles qu’avec un point d’interrogation et s’entourait de multiples questionnements. Mais il y a plus étrange : cette libre improvisation dans laquelle se lancent le cofondateur d’Henry Cow et celui du London Jazz Composers Orchestra est la première : ils n’avaient jamais enregistré ensemble.

Pourtant, à l’écoute du languide « A Single Street Stretched Tight by The Waters », où la contrebasse ronflante de Guy gagne en profondeur à mesure que la sécheresse inimitable de Frith vient l’éroder, on a l’impression qu’ils échangent depuis toujours, et portent la même musique intérieure. Les oppositions frontales que Frith a pu expérimenter avec Braxton par exemple, sont fort loin. Encadrées par deux longs morceaux aux climats changeants qui permettent des discussions sans limites, les miniatures dégagent une forme de placidité. Il s’en extrait parfois de lointaines voix désincarnées ou des boucles avortées fruits des préparations d’instruments de Frith. L’archet de la contrebasse crée des bourdonnements puissants sur laquelle la guitare se démène. Les chocs violents sont rares, mais leur soudaineté est éclatante. Ainsi, « Dependence Over The Abyss » permet à Guy de venir, à coups de pizzicati outrés, cueillir Frith sur son terrain dans un déluge de cordes claquées.

C’est cette immédiateté qu’on retrouve avec la saxophoniste danoise Lotte Anker, dans un duo qui paraît conjointement. Enregistré un peu plus tard, en 2010, un jour de finale de Coupe du Monde de Football, Edge of The Light (Intakt Records CD 237) se construit plus en tension, même si une large place est laissée au silence. Sur « Reasonably Available Control Measures », Anker cherche l’issue en se cognant en tous sens, engoncée dans un flux saillant d’électricité. On pouvait craindre que ces sorties successives ne s’apparentent à un fond de tiroir ; le choix éditorial peut effectivement sembler étonnant, même s’il s’agit sans doute de fêter les 30 ans du label Intakt Records. Il faut s’en convaincre : les tiroirs de Fred Frith ne sont pas ceux du commun des mortels.