Frédéric Norel

Tout est éther sur le premier disque de Frédéric Norel, violoniste et compositeur connu pour ses musiques de film et de théâtre ainsi que ses participations aux projets du Z’tett de Bernard Struber. Éther et limbes, les musiques élégantes évoquent, dans une cinématique travaillée, à la fois le voyage intérieur et une poésie étrange et subtile - « paradoxale », comme on parle de « sommeil paradoxal. » On sent dans l’écriture comme dans les échanges entre les musiciens une esthétique de la chimère qui va chercher l’émotion dans un inconscient profond comme la noirceur de certains cauchemars.

Avant toute chose, et peut être même avant de se laisser porter, c’est le son légèrement « out » du violon qu’on remarque et qui donne aux morceaux une texture fragile, sur le fil, ébréchée. Ce jeu aux limites entraîne l’auditeur dans une dimension où tout s’estompe, où chaque instrument semble se substituer à un autre dans un souffle, un frôlement entêtant. La magnifique pochette de Dreamseekers évoque d’ailleurs ce parti-pris : le visage du violoniste se devine dans un flou paré d’une aura irisée, telles ces silhouettes qu’on ne sait plus distinguer dans les rêves.

La mélodie exigeante que Norel développe avec son quintet constitue un langage onirique qui ne peut laisser de glace, d’autant que, là aussi, l’instrumentation est inhabituelle. En l’absence de batteur le disque s’appuie sur une musique sans rythmique marquée et développe des persistances mélodiques via l’archet d’Arnault Cuisinier ou les flots atmosphériques de Benjamin Moussay, qui évoquent parfois un psychédélisme soyeux (« Naissance »).

Dans cette construction harmonique évanescente, Jean-Marc Foltz est l’attache terrestre qui sonde les profondeurs de l’âme par d’introspectifs traits de clarinettes et dialogue tant avec le violon de Norel - qui prend à petites touches le registre du violoncelle - qu’avec le souffle diaphane des saxophones de la remarquable Alexandra Grimal.

Entre rêve douillet et inflexions nébuleuses, la musique de Norel est avant tout enivrante, opiacée ; elle pourrait être tout droit sortie d’un film d’Ingmar Bergman - auquel on ne peut s’empêcher de penser sur « Le présage de Fanny », une pièce d’une sensualité effrénée dissimulée sous une ascèse de façade. Le voyage musical s’égrène sans notion du temps… jusqu’au bout du rêve…