Scènes

Géraldine Laurent, Manu Codjia, Christophe Marguet


Il y a cinquante-six ans que Charlie Parker a cessé de souffler ses mélodies. Cinquante-six ans que le monde du jazz le célèbre, empoignant sa musique comme on s’accroche à un rêve. Avec, selon le cas, un résultat passionnant (les récentes productions de Joe Lovano ou de Django Bates) ou dispensable. L’exercice, difficile, oblige les musiciens à avancer sur une étroite corniche balayée par des vents qui peuvent à tout moment les faire basculer d’un côté dans le gouffre de la copie caricaturale, ou de l’autre dans le précipice de la réappropriation de mauvais goût.

Fort heureusement, nos trois musiciens sont des alpinistes rodés aux conditions les plus dures, et il faudra plus qu’un coup de vent pour leur faire perdre pied. Solidement arrimés les uns aux autres, avançant d’un même pas décidé, les yeux rivés sur le même sommet, la saxophoniste, le guitariste et le batteur proposent ici, au fil de trois sets formidables, une relecture à la fois personnelle et respectueuse, reprenant de façon très moderne des compositions de Bird ou des titres qu’il a sublimés.

Photo Olivier Acosta

La grande réussite de cet hommage du 30 avril 2011 au Sunset tient au fait que Géraldine Laurent, Manu Codjia et Christophe Marguet ont trouvé une façon originale d’aborder ce répertoire, composé de grands classiques maintes et maintes fois repris, réinterprétés, réarrangés. Comment ? Simplement en cherchant à prendre un maximum de plaisir à jouer, et ce honnêtement, sans sacrifier ni même brider leur personnalité musicale. A l’élégant noir et blanc, le trio préfère les teintes vives, et c’est tant mieux. Le be-bop est là, toujours, mais il trouve sous les doigts magiques de Manu Codjia des formes qui savent cohabiter et faire évoluer cet idiome. Un fragment de phrase devient riff de rock, une rythmique presque funk s’installe, et la structure harmonique emprunte des chemins inattendus car la musique, forte de son ancrage dans la tradition et des métissages dont elle bénéficie, est pétrie de liberté. Christophe Marguet, à qui revient l’initiative de cet hommage, propulse le trio par son drumming nerveux mais toujours mélodique. Lui aussi sait jeter un pont entre le raffinement ternaire de l’époque et les déferlements contemporains, tout en restant le garant, par son time parfait, d’un swing de tous les instants. Mention spéciale à la longue introduction aux mailloches de « A Night In Tunisia », subtile, engagée et d’une grande musicalité.

Dans le rôle difficile de saxophoniste alto, Géraldine Laurent brille de mille feux. Ayant totalement intégré le vocabulaire et la grammaire be-bop, cette jeune femme qui se positionne sur la scène jazz en digne représentante de cette lignée de saxophonistes fougueux sait s’inspirer du fond sans copier la forme. Elle y met toutes ses tripes, toute son âme. Et nous, nous l’écoutons, le sourire aux lèvres, balancer à l’autre bout de la salle ses phrases tranchantes sans se poser de questions.

Ce concert était une première pour le trio. Un belle création qui mérite de nombreuses reprises.