Le jazz a sa tribune depuis 2001

Edition du 15 avril 2024 // Citizenjazz.com / ISSN 2102-5487

Les dépêches

Grands Formats interpelle le Ministère de la Culture

Communiqué :

« La période que nous traversons aujourd’hui pourrait s’appeler “La silencieuse“.

Avec force propositions et une énergie sans faille, nos grands ensembles avancent avec courage. Ils dessinent, non sans risques, des environnements favorables à nos musiques au cœur des problématiques culturelles. Traversant ouragans et tempêtes, ils affirment de belles valeurs d’efforts et de solidarité au service d’un art encore bien loin de la reconnaissance qui lui est due.

Ils explorent avec constance des sentiers touffus, demandant parfois de l’aide pour élaguer et rendre ces chemins accessibles.

Hélas, nous avons beau chanter, expliquer, slammer, inventer ou scatter sur tous les tons, rien. “La silencieuse“ est là. Aucun écho ne parvient à nos oreilles. La panne ! Pas de solutions, de possibles, rien d’autre que ce silence. Encore plus étonnant : cette peur de l’enthousiasme, arme de conviction massive avec laquelle nous partons chaque jour à l’assaut des forteresses.

Peut-être cet étrange moment pourrait-il être nommé “le silencieux“, à l’instar de celui qui habille certaines armes pour atteindre leur cible sans bruit. Ce silence, ce rien, ce vide, mettent à mal nos équilibres précaires.

Les structures de Grands Formats atteignent aujourd’hui les limites du possible.

Pourtant les moyens existent. Il suffirait de les évaluer et de les redéployer dans de nouvelles dispositions en faveur de nos ensembles, qui participent activement du service public de la culture, de l’économie et de l’emploi.

Il est temps de remettre sur l’ouvrage cette belle composition pour les grands ensembles, en s’appuyant sur les dynamiques que les politiques culturelles ont mises en œuvre et dont il serait dommage qu’elles s’arrêtent au milieu du gué. Il est essentiel de remettre au cœur de l’action publique la question artistique qui nécessite plus de soutien que celle de l’industrie musicale.

Heureusement, le public, lui, est loin d’être silencieux. Présent à nos rendez-vous, friand de nos démarches, il montre par son écoute et sa fidélité son attachement à nos rêves.

Nous remercions chaleureusement tous nos partenaires complices et gardons sans faiblir l’espoir de voir nos propositions entendues et considérées.

Grands Formats, juin 2013


I. Grands Formats… l’état des lieux :

A. Le contexte :

Grands Formats est née en 2003 de la volonté de chefs d’orchestres de Jazz et de musiques à improviser, afin de faire entendre la voix des “grands ensembles“ (au minimum 8 musiciens) dans ces esthétiques. 10 ans plus tard, les problématiques qui occupent 32 ensembles professionnels que rassemble la fédération se sont aujourd’hui accrues :

- le contexte budgétaire dans lequel est menée la politique actuelle menace l’existence des grandes formations qui sont une expression essentielle et dynamique de notre diversité culturelle, au même titre que tous les arts de la scène et de la rue
- la vision artistique de la musique en GF est extrêmement fragilisée à l’heure où l’argent public consacré à l’intérêt général, et à ce que l’on pourrait considérer comme une fonction de service public de la culture, se raréfie
- les dispositifs d’aide n’ont que très peu évolué et ne sont plus en phase avec les structures de production des Grands Formats
- les marges artistiques faiblissent au sein des lieux de diffusion labellisés et la présence de la musique en grande formation s’y raréfie à quelques expressions près
- les formations que nous dirigeons sont sous-représentées dans les scènes labellisées ou pluridisciplinaires alors que leurs cahiers des charges les engagent à soutenir le jazz au même titre que les autres genres musicaux ou disciplines artistiques
- notre champ musical est perçu par nombre d’acteurs comme “une variable d’ajustement“ dans le processus de diffusion
- les ensembles les mieux structurés subissent le handicap de leur réalité structurelle dans le cadre concurrentiel du moins coûtant
- les ensembles les plus repérés sont à la peine donc l’émergence de nouveaux ensembles apparaît délicate

Observation :

Grands Formats souhaite, à la fois, alerter sur la réalité de vie de ses membres, et saisir l’opportunité du dialogue en temps de crise pour réinscrire la réalité de notre dynamique artistique dans le paysage culturel de manière durable, en lien avec ceux qui réfléchissent et tracent les lignes des politiques culturelles de demain.

B. Singularité des grands ensembles :

Choisir d’écrire, de jouer, d’évoluer au sein d’une grande formation est l’affirmation d’un engagement et d’une identité artistiques forts : celui de donner à voir et à entendre la musique sous l’angle du partage musical, de la volonté et de l’exigence artistique, du plaisir à faire ensemble sur scène et à donner au public.

Forme musicale du XXe siècle par excellence, mise à mal par le contexte économique depuis quelques années, la grande formation revêt un caractère de consécration pour nombre de compositeurs. Nombreux sont les jeunes musiciens qui se lancent dans l’aventure de la grande forme, faisant fi des difficultés latentes ou déclarées, car c’est l’endroit artistique de tous les possibles et de l’expérience du “faire musical“ commun.

Qu’ils soient tournés vers l’expérimentation ou se voulant l’écho d’une longue tradition, les membres de Grands Formats revendiquent tous leur appartenance à une démarche de création, dépassant les clivages entre les notions de composition, de relecture et de novation.

Aujourd’hui en France, seule une grande formation bénéficie d’un label national.
Aux côtés de l’ONJ, il est essentiel de réaffirmer que la totalité des grands ensembles présents sur la scène française participe à distiller le désir de cette forme-là chez les diffuseurs et les publics. Or les faibles moyens déployés (en numéraire certes mais aussi en exposition) pour ces grands ensembles indépendants les mettent en péril.

La création d’un réseau national de grandes formations indépendantes sur l’ensemble du territoire, pourrait être un premier pas vers un rééquilibrage.

II. Se structurer et s’implanter

A. L’emploi :

Les Grands Formats participent activement à l’économie du jazz :

  • la totalité des grandes formations adhérentes à Grands Formats sont des professionnels, dont l’activité génère près de 3 500 CDDU par an, et ils participent à l’économie d’autres emplois dans de nombreux secteurs connexes (communication, location de salle et de matériel…)
  • beaucoup ont joué le jeu de la professionnalisation en créant un ou plusieurs emplois permanents (administration, communication, production, etc.) notamment dans le cadre d’aides au conventionnement et à la structuration.

Observation : Face aux volontés hégémoniques de l’industrie musicale, nous créons un “artisanat d’art“ vital, et dans le contexte de contrainte budgétaire des politiques publiques, nos marges de manœuvre et de survie sont largement entamées.

B. L’ancrage territorial :

Evoluer en grande formation, c’est affirmer le rôle de directeur musical et de l’orchestre comme lien/lieu privilégié de la rencontre. Défendre l’importance d’un ancrage territorial, mais repenser à l’aune de réalités vécues, permet l’ouverture des publics à nos propositions artistiques, à nos pratiques et accélère la transmission artistique et culturelle in vivo. Nous défendons l’idée d’un public “acteur“ et non simple “consommateur“.

Pour permettre à ces grands ensembles d’exister, il serait par exemple nécessaire de favoriser et de permettre un temps de présence prolongée d’une équipe artistique dans un lieu et sur un territoire pour favoriser la rencontre entre un artiste et le public, entre un territoire et les enjeux artistiques qui s’y nouent. Mais aussi pour faire émerger de nouvelles pratiques d’échange culturel voire de nouveaux comportements face à l’objet artistique proposé.

Accueillir plus naturellement la présence d’artiste/compositeur associé à la programmation et à la transmission de la culture permet :

  • d’accompagner des expériences artistiques innovantes : retrouver le temps de la création, avoir des outils et des lieux à disposition pour permettre l’efflorescence des projets, faciliter les rencontres, travailler (sur) le public etc.
  • d’améliorer le cadre d’activité des professionnels : on peut dès lors envisager le travail de création, de médiation et de transmission sur une temporalité différente de celle de l’alternance création/diffusion
  • d’améliorer le service public aux populations, stimuler l’intérêt général par le développement de nouvelles formes de rencontres (représentations, sensibilisations, actions d’éducation, d’intégration à des projets musicaux…) et redonner à l’artiste sa place de citoyen actif dans la société en tant que transmetteur et créateur.

III. Rayonner / la diffusion :

A. La difficulté d’assurer l’économie de la diffusion :

De vision artistique, choisir aujourd’hui de développer un projet musical en grande formation devient un facteur économique aggravant.

Devant la baisse des dotations budgétaires – et les choix artistiques en découlant pour les diffuseurs touchés, la grande formation devient une variable d’ajustement.

Sans une politique volontariste forte et des systèmes de soutien aux ensembles pour la diffusion, les grandes formations sont amenées à disparaître ou paradoxalement à rejoindre l’économie souterraine.

B. la difficulté du rapport aux lieux de diffusion :

Sans la réaffirmation de la volonté de l’Etat de reconnaître la pluralité des formats et des esthétiques au cœur de l’idée de diversité artistique telle que définie dans les cahiers des charges des lieux labellisés, c’est l’existence même de nos ensembles qui est en danger à moyen terme. La diffusion de nos musiques doit faire l’objet d’une politique de soutien affirmée et suivie !

C. Des aides à inventer ou adapter sur l’aide à diffusion :

- l’international :

La question de l’Export reste cruciale. Notre présence répétée lors du salon international du jazz de Brême – Jazzahead – nous a montré à quel point les artistes français ont peu de possibilités de s’exporter contrairement à d’autres pays (du nord de l’Europe notamment) qui bénéficient de réelles politiques à l’export. Aujourd’hui les Instituts français à l’étranger, pour favoriser notre pénétration sur un territoire (communication/rencontre…) n’ont plus ou très peu de moyens voire disparaissent ! Nous avons créé une commission de réflexion en interne sur ce sujet.

En ce qui nous concerne, cette idée d’Export, en raison du nombre d’artistes sur le plateau et des frais de logistique induits, auquel s’ajoute une baisse drastique des aides de l’Institut Français ou de la Spedidam, devient quasiment irréalisable dans des conditions financières et humaines décentes pour les musiciens et réalistes pour la structure porteuse.

Sans véritable prise en compte des pouvoirs publics en ce domaine, la diffusion des grands ensembles à l’international est très compromise.

- sur le plan national :

Il semble nécessaire aujourd’hui de redynamiser le maillage Etat / Région / Département / Intercommunalité / Ville afin de réaffirmer un service public de la culture qui n’oublie pas ses artistes.

Comment les aides peuvent-elles converger et se placer en complémentarité les unes des autres ? Quel peut être le rôle prescripteur de l’Etat à l’aube d’un nouvel acte de décentralisation d’où la place de la culture semble totalement minorée ?
Il faut repenser les méthodes et mener une politique culturelle publique capable de proposer des choix cohérents et impulser une meilleure répartition des aides.

CONCLUSION :

Il est urgent de prendre en compte ce constat d’alerte des grands ensembles. Nous souhaitons en ce sens vous rencontrer au plus vite afin d’aller plus en avant sur le sens de notre propos.

Il est question ici de réflexion et de volonté politique à laquelle Grands Formats souhaite, avec tous les acteurs majeurs du spectacle vivant (artistes, lieux, syndicats, représentants des collectivités territoriales, administrateurs de compagnies, agents etc.), s’associer dans un esprit d’ouverture constructif, de solidarité et dans le respect du rôle de chacun, au-delà de ses intérêts individuels/collectifs ou de circonstance.

Grands Formats, dans sa pluralité artistique et en tant que fédération active, créatrice d’emplois, productive de musiques, de réalisations artistiques publiques et de rencontres, de plaisir et de réflexion se place de plain-pied dans ce débat citoyen aux côtés d’un ministère que nous sentons menacé par des choix économiques qui chaque jour font que notre société se délite… Faut-il encore en faire la preuve ?

Notre avenir est commun, parlons-en, repensons-le, affirmons-le ensemble par une politique culturelle forte, lisible, assumée !

P.-S. :

Fédération d’orchestres créée en 2003, Grands Formats a pour objectif de favoriser le développement et le rayonnement des grandes formations de jazz et de musiques à improviser. A ce titre, elle joue autant un rôle fédératif, informatif que réflexif. […] Lire la suite