Portrait

Grégory Daltin, accordéoniste à tous vents

Portrait de Grégory Daltin, accordéoniste aussi discret qu’il est essentiel.


Grégory Daltin © François Moura

On n’entend guère parler de lui, sinon ici et là, à l’occasion de sorties d’albums et de retours de concerts. S’il est rarement en front-line, il n’en reste pas moins que cet accordéoniste est une figure assez incroyable.

On a pu croiser Grégory Daltin dans les colonnes des canards de jazz à l’occasion du trio qu’il mène avec Julien Duthu et Sébastien Gisbert ou à travers les projets du saxophoniste Didier Labbé. Mais la focale jazz serait fort réductrice : à s’interdire de voir les autres univers musicaux qu’il a investis, on manquerait une bonne partie de son portrait, et de sa carrière .

D’ailleurs, lui-même refuse et réfute toute catégorie. « Je n’ai pas envie qu’on me colle une étiquette. Jazz, classique… peu importe, j’ai envie de faire de la musique ». Et c’est ce qu’il fait. Un de ses derniers projets est un duo avec le mandoliniste Vincent Beer-Demander, et leur dernier album est exclusivement consacré à des compositions et arrangements de Vladimir Cosma. De la musique et des rencontres, puisqu’ils ont collaboré avec Jean-Claude Petit, Jean-Claude Vannier, Lalo Schifrin, Richard Galliano et Francis Lai. On trouve également Grégory Daltin dans la musique improvisée avec le contrebassiste Marco Bardoscia , duo qui devrait s’enrichir de la participation de Michel Godard. Mais les débuts de Daltin dans la musique datent du Conservatoire de Toulouse et il n’hésite pas à dire qu’il est « à la base un produit du conservatoire dans l’apprentissage ». Mais s’il reste attaché à cette école – il y enseigne et « c’est une mission qui [lui] tient à cœur » - il a depuis multiplié les expériences musicales.

Grégory Daltin © Jean-Francois le Glaunec

Assez rapidement, il a l’occasion de faire carrière dans la musique classique et le contemporain. Il s’y jette goulûment et continue à faire vivre ces registres, au moins le classique. Il cite volontiers les copains du CNSM avec lesquels il travaille de temps en temps, les Sacqueboutiers de Toulouse – un ensemble de cuivres et instruments à vent spécialisé dans les musiques anciennes – et les compositeurs qu’il aime : Ravel, Monteverdi et on sent que la liste pourrait prendre des heures. Mais très vite il est engagé par des chanteurs dont Zebda, les heureux agitateurs à la verve inouïe. Toutes ces rencontres sont importantes et contribuent réellement à définir le vaste champ dans lequel il évolue.

Et puis il y a la rencontre avec Didier Labbé. Le saxophoniste a embarqué dans son quartet Didier Dulieux, accordéoniste qu’on a pu croiser par ailleurs avec Eric Boccalini. Mais Dulieux n’est pas toujours disponible. Labbé embauche alors Grégory Daltin en guise de remplaçant. Et pour le coup la rencontre est déterminante. « J’étais très jeune. C’était sur le quartet. Arrivé chez Didier, j’ai lu le répertoire que je devais travailler. Et là j’ai pris une claque. On était loin de ce que j’avais appris au conservatoire. Là je découvre la matière improvisée et j’ai trouvé que c’était extraordinaire. » Par la suite, il a rencontré d’autres musiciens improvisateurs et, que ce soit Bernardo Sandoval, Denis Badault, Michel Godard, Kiko Ruiz, André Minvielle on encore Raphaël Imbert. Si on ajoute les pas qu’il fait régulièrement vers d’autres arts, dernièrement avec Bruno Putzulu sur la pièce Les Ritals d’après l’œuvre de François Cavanna, on aura un panel à peu près complet des directions que peut prendre ce touche-à-tout.

Mais, outre cet éclectisme à tout crin, l’autre caractéristique de Grégory Daltin, c’est son attachement à l’accordéon. Un noble militant, pour tout dire. Pour lui, « l’accordéon est un instrument du voyage », qu’on trouve partout sur le globe dans une multitude d’esthétiques différentes. Mais, mieux encore, il s’agit d’un instrument populaire et qui, de fait, permet de créer facilement un lien affectif et chaleureux avec le public. Et d’ajouter « j’adore ! ». Reste que s’il est très attentif à ses pairs d’instrument – il écoute bien évidemment Vincent Peirani, Marcel Loeffler, Lionel Suarez – son cœur penche radicalement vers les accordéonistes - Gus Viseur, Tony Murena, Daniel Colin, Marcel Azzola, Richard Galliano pour ne citer que ceux-là - qui, depuis les années 1930, ont donné à l’accordéon ses lettres de noblesse. Car l’instrument a longtemps pâti d’une image désuète en France.

À ce propos, Grégory Daltin se souvient qu’adolescent un copain lui avait tendu une image « Malabar » faisant figurer un jeune boutonneux et à l’appareil dentaire disgracieux jouant de l’accordéon avec pour légende « Le ringard ». Bien entendu, pour le grand public, cette image de l’accordéoniste ringard est intimement liée à Yvette Horner : Grégory Daltin précise qu’elle était une redoutable instrumentiste et que la ringardise était à chercher du côté de son look et du traitement médiatique qui en fut fait. « Maintenant, on est passé à autre chose et on le doit à des gens qui se sont battus pour redonner une image noble à l’accordéon ».