Chronique

Gregory Porter

Nat King Cole & Me

Gregory Porter (voc), Christian Sands (p), Reuben Rogers (b), Ulysses Owens (dms)

Label / Distribution : Blue Note

Mais où va-t-il, le bon gros géant harlémite ? Plus que jamais social-romantique, il rend ici hommage à Nat King Cole, s’adjoignant les services d’un orchestre symphonique pour transcender les standards immortalisés par son illustre prédécesseur. Car il paraît être en transe, Gregory Porter, porté par le souffle d’un ensemble dont il semble avoir rêvé depuis ses débuts sur les planches des comédies musicales de Broadway (ce disque étant l’aboutissement d’un travail sur Cole entamé en 2004).

Mais on ne plaisante pas avec le roi Cole. Si Hugh Coltman a récemment réussi à restituer fort joliment la part d’ombre du premier chanteur afro-américain à réaliser le crossover (i.e. à intégrer avec succès les hits réservés aux blancs), le colosse vocal new-yorkais, lui, le pare d’une aura à la luminosité exacerbée.
Commercial ?
Mais « faire commerce » n’est-ce pas aussi, en son sens originel, entretenir avec bienveillance des relations, pas forcément de manière intéressée, au contraire de ce que la vulgate marchande et masculiniste prétendrait nous enseigner ? Oui, il y a une dimension charnelle dans le jeu vocal de Mr Porter, mais celle-ci est bien une façon d’incarner la dignité des « sans-voix », du peuple noir étasunien. Il est ainsi significatif que le chanteur et son producteur, Vince Mendoza, aient choisi de délivrer un saucisson comme « L-O-V-E » sans l’orchestre symphonique, manière de rappeler la force subversive d’un titre faussement innocent, le relevant d’un chorus de trompette plus que pertinent de Terence Blanchard (dont on sait la force de la colère noire dans son jeu). Plus encore, la seule composition originale est la poignante ballade « When Love Was King », cet hommage à Martin Luther King mais aussi à l’Amour comme remède universel, donnant à l’excellent Reuben Rogers l’occasion de balancer un solo de contrebasse d’anthologie, rappelant ainsi par ses fréquences basses toute la gravité de la situation. Dans la disruption trumpienne, Grégory Porter réussit son pari : faire bégayer l’histoire des relégués pour lui redonner toute sa tragique superbe.

par Laurent Dussutour // Publié le 15 avril 2018
P.-S. :

Avec : London Studio Orchestra