Chronique

Guillaume de Chassy

Silences

Guillaume de Chassy (p), Thomas Savy (cl), Arnault Cuisinier (b)

Label / Distribution : Bee Jazz

Semblable à des battements de cœur, le jeu percussif, à même les cordes, de Guillaume de Chassy sur le titre d’ouverture, inspiré des « Chemins de l’amour » de Francis Poulenc, donne le ton de cette session particulière enregistrée en trio à l’Abbaye cistercienne de Noirlac. Un lieu qui favorise l’écoute intérieure, le recueillement et la sérénité.

La musique est, de fait, centrée sur la mélodie, et les improvisations trouvent leur force même dans l’épure. La résonance d’une note est parfois plus parlante qu’une phrase... Les silences qui résultent de la retenue, de l’économie, sont partie intégrante de leur vocabulaire. L’attention portée à la profondeur du son, l’étrange vie des notes une fois livrées à elles-mêmes, flottantes, est ici la source d’un travail d’orfèvre où improvisation et interprétation sont étroitement corrélées, les silences étant considérés comme un moyen et non comme une fin.

Le répertoire est constitué de réappropriations d’œuvres classiques, d’improvisations à deux ou trois, d’une composition du pianiste, d’une relecture en solo d’une chanson de Wal Berg tirée du film Adieu Chérie, ainsi que d’un titre que l’on doit à Pierre Dayraud, percussionniste et compagnon de route du pianiste. Soit un univers intime qui fait le lien entre ceux qui l’ont aidé à se construire, d’une part, et d’autre part ce qu’il est, à savoir un improvisateur délicat qui ne renonce ni à la spontanéité des échanges, ni au raffinement de l’écriture.

Le rendu, sur ce disque admirablement enregistré par Nicolas Baillard et mixé par Philippe Tessier du Cros, est sublime : la réverbération naturelle, l’espace qui entoure les instruments, a permis de ne pas retravailler artificiellement le son, donc de ne pas figer les notes dans leur suspension mais au contraire de les laisser s’épanouir, courir le long des murs, se frotter à la pierre, vivre en ses aspérités. Cette projection du son nécessite une grande justesse, et les trois musiciens donnent à chaque note son importance. C’est probablement la raison pour laquelle le solo d’Arnault Cuisinier sur « Du côté de chez Prokofiev », d’après le final du Concerto pour piano n°2, op.16, s’inscrit de manière aussi évidente dans la continuité du thème, auquel il offre un prolongement moderne et respectueux. Il en va de même pour la belle et pudique envolée de Thomas Savy sur le seconde partie de « Du côté de chez Poulenc », où quelques notes suffisent à donner du relief à une interprétation fidèle des « Chemins de l’amour ». La Sonate pour piano op. 78 de Schubert se voit quant à elle magnifiée par un solo poétique de Guillaume de Chassy. Mais au-delà de ces interventions personnelles, la répartition des rôles entre les instruments permet tantôt de recentrer la matière orchestrale, tantôt d’étendre le registre et la palette de timbres du piano. Ainsi le Prélude n° 4, op. 87 de Chostakovitch pour piano se retrouve-t-il encadré par le soutien de la contrebasse et la chaleureuse sensibilité de la clarinette, chacune dans son registre.

« Birth Of A Trio » bouscule audacieusement la relative sagesse avec laquelle sont joués ces thèmes classiques, mais on y sent toujours le même souci de sobriété. Il renvoie bien sûr à un autre trio, celui de Jimmy Giuffre, Steve Swallow et Paul Bley, et à son Life Of A Trio. Ici, et pour une instrumentation identique, on sent un même goût de l’équilibre fragile, des harmonies diagonales et du tressage des voix. « Majeur » permet en outre à la contemporanéité du discours collectif de s’illustrer par petits jaillissements cristallins, canons judicieusement disposés et unissons précis.

En l’Abbaye de Noirlac, dans le Cher, les pierres doivent garder en mémoire la douceur des notes qui, si elles ne sont plus pour elles qu’un beau souvenir, résonnent encore à travers ce disque, concis, généreux, hors du temps.