Chronique

Guillaume de Chassy

L’Âme des poètes

Guillaume de Chassy (p), Élise Caron (voc), Thomas Savy (cl, bcl), Arnault Cuisinier (b)

Label / Distribution : NoMadMusic

Qu’est-ce que cela peut donner, deux élégances qui se rencontrent ? Du rococo ou une nouvelle sorte de classe folle, un drapé qui tombe juste ? Qu’on se rassure, L’Âme des poètes, premier album de ce quartet où s’unissent Guillaume de Chassy et Élise Caron avec Thomas Savy et Arnault Cuisinier, est l’illustration de la seconde hypothèse. Du sur-mesure. Cela commence avec « Actualités », jolie chanson pleine de spleen et de douceur qu’interpréta le trop délaissé Stéphane Golmann et que reprit Montand à l’orée des années 50. Élise Caron susurre cette chanson acidulée sur les motifs de De Chassy qui évoquent la fameuse âme russe après laquelle couraient Prokofiev et Moussorgski. Tout est à sa place, même un léger vent mutin ; et c’est lui qui va nous guider dans ce panorama de chansons de périodes de paix, d’immédiat après-guerre qui se termine sur un sépulcral « Nacht und Träume D.827 » de Schubert où la clarinette de Savy est une lumière au bout d’un inextricable tunnel. Rien n’est fait pour durer.

Il y a 18 ans, Guillaume de Chassy publiait avec Daniel Yvinec Chantons sous les bombes, un disque qui évoquait les chansons de la Seconde Guerre Mondiale. On y trouvait d’ailleurs « L’Âme des poètes », interprété comme ici par le pianiste seul. Un bras-le-corps qui se termine en étreinte, délicatement posé, bien que revenant des profondeurs du piano, comme absolument tourmenté. Le présent album est comme un panorama de l’après-guerre où des chansons faussement légères soufflent une brise d’espoir qui suggère pourtant déjà d’autres catastrophes à venir : Golmann dut fuir en Amérique du Nord pour échapper aux rafles et « L’Étang », qui fut interprété par Danielle Darrieux pour le film d’Allégret Un drôle de dimanche [1] est rempli de cette ambivalence. Élise Caron s’offre un doux pas de valse avec la clarinette basse, discrètement soutenu par la contrebasse d’Arnault Cuisinier, parfait dans ce genre de climat. La musique de l’âme des poètes est une flamme qui vacille, légère comme une plume et pourtant légèrement doux-amer. Un écrin parfait pour Élise Caron et De Chassy.

C’est dans le « Verlaine » de Trénet, version personnelle de la Chanson d’Automne du poète, que la douceur et la langueur du quartet offrent sa facette la plus lumineuse. Il y a ici un amour infini des textes et des contextes de chansons qu’on a trop souvent fait passer pour de jolies bluettes vaporeuses. Les musiciens les incarnent et les relient tout à la fois à une musique écrite occidentale qui ne demande qu’à jaillir, et par le jazz qui surgit ici comme par miracle, dans « Adieu Chérie », chantée par Darrieux encore dans le film du même nom, où Savy et de Chassy s’offrent un joli terrain de jeu dans les respirations de l’interprétation pastel d’Élise Caron, en son jardin. C’est un très doux moment que nous passons ici avec quatre orfèvres, et c’est un programme très équilibré auquel nous sommes conviés. Guillaume de Chassy suggère tout un climat avec une discrétion absolue et une maestria qui ne se dément pas.

par Franpi Barriaux // Publié le 31 octobre 2021
P.-S. :

[1Une chanson que De Chassy avait déjà utilisée avec Yvinec dans le brillant Chansons en 2009.