Sommer & Puglisi

L’humour n’est jamais vraiment absent de la musique de Günter « Baby » Sommer. Ce n’est pas un humour canaille ou destructeur, c’est un état d’esprit, une décontraction absolue qui permet d’aborder de front l’improvisation et l’histoire du jazz, de jouer avec les codes sans les tourner en dérision. C’est reprendre « White Christmas » avec une lenteur qui déconstruit la bluette. Pour l’accompagner au piano, Fabrizio Puglisi joue lui aussi avec le standard qu’il aborde avec une emphase concertante, volontiers atonale, avant de retourner à son sujet principal : l’étendue du piano et ses entrailles. Les jouets de noël sont tout autour, et Puglisi ne s’en prive pas, tapotant toutes sortes de claviers électroniques pour prolonger les gammes de son. À ses côtés, Sommer sursaute, convoque l’urgence, détourne, développe, emballe. L’hiver est balayé par un printemps fertile, celui d’une liberté conquérante, non sans éclats de rire diffusés en shrapnels.

Sommer a un sens de la cadence qui permet toutes les folies du pianiste, sensible sur les « Fünf miniaturen » ; cinq instantanés qui sont autant de précipités de joie, quelques bribes au milieu des tambours et des trouvailles du clavier. La deuxième de ces miniatures résume à elle seule tout le disque avec un programme qui boucle quelques secondes de « Salt Peanuts » au milieu de l’électronique grinçante d’un jouet qui hésite entre un blues et une course de Woody Woodpecker… Une ambiance de cartoon que le batteur anime par un drumming inimitable, sec et d’une rigueur qu’on pourrait qualifier de militaire si les vociférations et le contexte inventif ne venaient arrondir le propos.

Captés en plusieurs endroits d’Europe il y a près de dix ans, les présents enregistrements témoignent de la grande complicité du batteur allemand et du pianiste italien dont le jeu percussif répond idéalement à Günter Sommer. On ne fait pas que rire, néanmoins : les pièces élémentaires, et notamment « Elements:Water », travaillent le son avec beaucoup de soin, le piano préparé de Fabrizio Puglisi se mêlant aux tambours que le batteur a toujours privilégiés. « Elements:Earth » évoque ainsi la pulsation de la terre, avec des appels à la transe dans le cliquetis mat du piano, toujours prompt a convoquer un jazz qui joue avec ses fondamentaux. C’est un très beau disque que nous propose le label berlinois Aut Records qui ouvre toujours de belles fenêtres sur l’improvisation européenne.