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Edition du 15 avril 2024 // Citizenjazz.com / ISSN 2102-5487

Les dépêches

Hank Jones, pianiste de jazz…

Dimanche 16 mai 2010 Hank Jones nous a quittés. Avec lui, c’est tout un pan de l’histoire du jazz qui disparaît.

Né en 1918 dans le Michigan au sein d’une famille de dix enfants, il est l’aîné d’une fratrie de musiciens mémorables : Thad, trompettiste et arrangeur talentueux, et Elvin, batteur extraordinaire qui a révolutionné le rôle de l’instrument.

Hank commence l’apprentissage du piano classique autour de dix ans. Encore écolier, il entame sa carrière « professionnelle » en jouant avec des camarades dans des bals : « payés juste assez pour nous acheter une paire de hamburgers » [1]. Parti de Pontiac, il exerce son métier au gré des engagements à Cleveland, Buffalo, Detroit puis New York. Il cite souvent Art Tatum comme le pianiste qui l’a le plus marqué, mais ne revendique pas d’influence majeure et, avec cette modestie qui l’a toujours caractérisé, dit avoir été inspiré par tous les anciens : de Fats Waller à Teddy Wilson en passant par Earl Fatha Hines et Duke Ellington [2].

Joe LOVANO & Hank JONES - Blue Note Records Festival, 22/07/2004 - © Jos Knaepen

En 1944, à New York, Hank Jones découvre la « musique innovatrice », nom qu’il donne au « bebop » car ce terme « ne reflète pas le sérieux du genre musical dont nous parlons » [3]. Avec Al Haig, Dodo Marmarosa, Walter Bishop Jr, Duke Jordan… il reste l’un des pianistes emblématiques de Charlie Parker. L’amateur garde à l’oreille la session de décembre 1952 avec Teddy Kotick (b) et Max Roach (d), et ses quelques plages historiques : « Cosmic Rays », « Kim », « Laird Baird », « The Song Is You »…

Au cours de ses quatre-vingts ans de musique, Hank Jones a donné un nombre incalculable de concerts, rencontré presque tous les musiciens de jazz, joué dans les contextes les plus divers (dont le fameux « Happy Birthday » chanté par Marilyn Monroe pour l’anniversaire de John F. Kennedy) et enregistré plus de cinq cents disques… Il fait évidemment partie des 57 musiciens de jazz figurant sur la célèbre photo prise en 1959 par Art Kane : A Great Day In Harlem [4]. Il est impossible de détailler un tel parcours ! Mais lui-même résume bien les grands moments de sa carrière [5] :

les tournées avec le « Jazz At The Philarmonic » de Norman Ganz à partir de 1947
la période avec Ella Fitzgerald de 1948 à 1953
l’orchestre de Benny Goodman à la fin des années 50
son contrat avec CBS, dont il devient le pianiste-maison de 1959 à 1976.

Dans les années 80, autre moment fort : Hank Jones forme « The Great Jazz Trio » avec Ron Carter et Tony Williams, puis Eddie Gomez et Al Foster, bientôt remplacé par Jimmy Cobb. Voué corps et âme à la musique, le pianiste n’a cessé de jouer par monts et par vaux jusqu’à la fin de sa vie : son dernier enregistrement, You Are There, date de 2007, et sa dernière tournée, en 2009, l’avait amené à Vienne, La Villette, Genève, Prague et Istanbul…

Pianiste élégant aux lignes sobres, à l’écoute attentive et à la sonorité limpide, Hank Jones était un passionné d’harmonie. Autant de qualité qui en ont fait l’un des accompagnateurs les plus recherchés de l’histoire du jazz. Boris Vian ne s’y était pas trompé qui, au début des années 50, à propos d’un enregistrement avec Artie Shaw, souligne qu’il fait du « beau boulot » [6]. Il récidive en 1952 à propos d’un disque avec Illinois Jacquet et Flip Phillips en affirmant que Hank Jones forme, avec Ray Brown (b) et Jo Jones (d), l’« une des sections rythmiques les plus étonnantes que l’on puisse imaginer » [7].

En hommage à ce « pèlerin de la transparence », pour reprendre la jolie expression de Jacques Réda [8], il faut écouter Somethin’ Else (1958), disque culte où, accompagné de Sam Jones (b) et Art Blakey (d), Hank Jones donne magistralement la réplique à Cannonball Adderley (as) et Miles Davis (tp).

Chapeau bas au « gentleman pianiste » qui n’a vécu que pour son art, comme il le déclarait en 2004 : « Music is my life ! Sans musique, ma vie n’aurait pas de sens. Elle a été et demeure le premier intérêt de ma vie. ». [9].

So long, Mr. Jones…


Pour en savoir plus :

Le site d’Hank Jones
La discographie
Un entretien avec Jean-Michel Reisser

[1Entretien, Jazz Hot - n°612 - juillet-août 2004.

[2Ibid.

[3Ibid.

[4Hank Jones est le deuxième, debout au premier rang à gauche.

[5Ibid.

[6Autres écrits sur le jazz - Christian Bourgeois.

[7Ibid.

[8L’improviste - Une lecture du jazz, Folio.

[9Entretien dans Jazz Hot - op. cit.