Chronique

Hans Lüdemann Rooms Trio

Blaue Kreize

Hans Lüdemann (p, fx), Sébastien Boisseau (b), Dejan Terzic (dms)

Label / Distribution : BMC Records

Sur le métier, l’ouvrage. Du trio, on pensait que le claviériste Hans Lüdemann avait fait le tour, notamment avec les faces de Die Kunst Des Trios (DKDT). Un tour exhaustif et méticuleux, à l’instar de son approche des timbres et des connections entre les différentes pointes d’un triangle aux angles indéfinis. Avec le Trio Ivoire, paru en 2014, il explorait pourtant de nouveaux horizons, des formules inusitées et des territoires vierges, avant de se focaliser en solo sur un piano bardé d’appareils électroniques chargés de transformer, d’éroder, mais aussi de transgresser sans totalement renverser la table. Toutes sortes d’atouts qui confèrent à la musique une part d’étrangeté dont Rooms se nourrit avidement. Ce trio est l’un des plus anciens du pianiste. Présents sur DKDT, le batteur Dejan Terzic et le contrebassiste Sébastien Boisseau avaient enregistré Rooms en 2010, toujours chez Budapest Music Center.

La complicité, patente sur un morceau comme « Arabesque », permet à Lüdemann de continuer à s’aventurer encore un peu plus loin. Le jeu de Boisseau, économe de gestes mais d’une solidité éprouvée, est le parfait contrepoint à une batterie coloriste, n’hésitant pas à rechercher les mêmes sons cristallins que la frappe altérée des touches du piano. Une telle confiance permet d’abandonner comme dans « Run » le son du clavier aux franges de la douleur, aux côtés d’une batterie musculeuse délestée de tout signe d’urgence ou d’agacement. Comme toujours, le calme apparent règne entre des musiciens qui se laissent beaucoup d’espace et de latitude. Ainsi, sur « Crum », le plus long morceau d’un album où le format « chanson » est de mise, un mouvement perpétuel s’engage. Entre tension et détente, alors que la contrebasse s’amalgame peu à peu à la batterie, le piano est toujours sur la brèche, véritable électron libre.

Avec « Blaue Kreise », Lüdemann s’empare d’un morceau qu’il avait joué en solo. On ne peut qu’y voir une maturation, une volonté, encore, d’aller au bout de ses idées. Il réussit à faire muter son instrument en le gardant néanmoins dans un cadre piano/basse/batterie on ne peut plus classique. C’est indéniablement ce qui rend Blaue Kreize troublant, avec sa façon d’introduite de l’inédit, voire de l’incongru dans un schéma très familier, ouvrant aux vents libérateurs les pièces bien hermétiques des genres musicaux.