Chronique

Hedvig Mollestad

Ekhidna

Hedvig Mollestad Thomassen (g), Susana Santos Silva (tp), Marte Eberson (p, Moog) Erlend Slettevoll (Fender Rhodes, Moog, Prophet-5), Ole Mofjell (percussions), Torstein Lofthus (dm)

Label / Distribution : Rune Grammofon

La supersonique Hedvig Mollestad Thomassen est de retour, deux ans après la publication de son sixième album en trio, Smells Funny. Sa « patte » est toujours immédiatement reconnaissable avec ces riffs entêtants (« Antilone ») et les thématiques qui la préoccupent (l’écologie par exemple sur « No Friends But The Mountains »). L’équilibre strictement démocratique des forces musicales de son power trio guitare/basse/batterie étant presque devenu classique, c’est avec une autre instrumentation qu’elle revient neuve dans l’actualité. Que les amateurs se rassurent : elle est restée la même, elle s’entoure juste différemment.

Pour Ekhidna, premier disque signé de son seul nom, elle est en fait accompagnée de cinq autres musiciennes et musiciens de sa génération. Ils sont majoritairement norvégiens mais aussi européens puisque les connections humaines et artistiques se fichent bien des restrictions imposées post ou pré-confinement. Et c’est cette nouvelle pluralité de sons qui paradoxalement donne à Hedvig Mollestad son rôle central, l’érigeant incontestablement (et enfin !) en compositrice de valeur et cheffe d’orchestre.

Les femmes d’abord : la rencontre de la guitariste avec la lumineuse trompettiste Susana Santos Silva, initiée par Mats Gustafsson, a tout simplement fait des étincelles. Leur fusion naturelle se traduit littéralement dans leur unisson (« A Stone’s Throw ») qui est le fil conducteur de l’album. Il surligne l’écriture et la rend extrêmement lisible là où d’autres seraient tombés dans l’écueil d’une surcharge de décibels. Aux claviers, on trouve Marte Eberson, la fille du guitariste Jon Eberson, qui a de toute évidence énormément influencé Mollestad. Eberson est une coloriste solide et au moins aussi charismatique que la guitariste. Autant dire que ces filles-là ont du mordant sans faire exprès.

Les hommes, eux, prennent largement la place que leur octroie le choix de ne pas engager de bassiste. Torstein Lofthus (venu d’Elephant 9) et Ole Mofjell, respectivement aux batteries et percussions, et enfin Erlend Slettevoll (Grand General), sont chargés d’équilibrer les forces en tant que rythmiciens.

C’est avec cette équipe plurielle et musclée que Mollestad a répondu à la proposition du festival Vossa Jazz en 2018 de présenter un nouveau projet. Sur scène en 2019, enregistré début 2020, l’album ne ressemble pas à une œuvre de commande : il se passe de tout contexte et même de prétexte. Il s’impose naturellement. Ekhidna, pour reprendre les mots du pédagogue Arild R. Andersen parus dans la presse norvégienne à la sortie de l’album, « l’habille et fait de la guitare la pièce maîtresse naturelle d’un plus grand ensemble », autrement dit, il fait prendre du galon à un langage guitaristique l’on ne peut plus réduire à une fusion de hard rock et de jazz.

Ekhidna, ou la femme serpent. Au diable les passéistes, tentés de construire encore des ponts avec le rock des années 70. Tendez l’oreille, c’est aussi dans les espaces vierges, les plages moins intenses (« Slightly Lighter » et « One Leaf Left ») que se trouvent lovées, concentrées, les questions bouillantes, politiques et personnelles, d’une artiste généreuse, multiple, divine, furieusement ancrée dans son époque.