
Hélène Duret, la musique en couleurs
Retour sur le parcours d’une musicienne synesthète, clarinettiste mais aussi chanteuse.
Hélène Duret © Laurent Vilarem
Fur, Synestet, Suzanne, Couple Sympathique… et bientôt Thérapie de Couple aux côtés du saxophoniste Daniel Erdmann. Autant d’expériences artistiques qui permettent, petit à petit, de cerner la personnalité d’une musicienne faisant volontiers valser les étiquettes et qui affirme sa différence. Entre jazz, musiques improvisées et chansons « pop », Hélène Duret vous en fera voir de toutes les couleurs. Citizen Jazz est allé à la rencontre de cette clarinettiste chanteuse pas comme les autres.
- Piano, chant, clarinette, vous avez accumulé beaucoup d’expériences depuis votre enfance. Comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?
L’art est présent dans ma vie depuis ma naissance. Mon père et mon grand-père paternel sont pianistes, ma grand-mère paternelle peignait et j’ai un oncle saxophoniste. Ces disciplines ont été présentes tout au long de mon enfance. J’ai commencé à pratiquer la musique à 5 ans, d’abord avec le piano et le chant. La clarinette est entrée dans ma vie un peu plus tard. J’ai eu aussi un groupe de chanson française avec des ami·es du lycée, où je chantais, je jouais du clavier et de la clarinette. Ce n’est que vers mes 20 ans que j’ai décidé que la musique serait mon métier. En parallèle j’ai toujours été passionnée de théâtre et de cinéma.
- De la chanson à l’improvisation, en passant par les musiques des Balkans ou des Antilles, il semble que les étiquettes n’aient guère de sens pour vous ?
Pourquoi faudrait-il correspondre à une chose ou une discipline en particulier ? Je crois que nous sommes tous·tes des êtres mouvants. J’essaye d’être à l’écoute et de suivre ce mouvement selon les périodes ou les émotions que je traverse, en puisant dans ce que je sais faire : chanter, improviser, composer, écrire, jouer au théâtre. Et justement, l’esprit qu’on trouve dans le jazz est un endroit propice pour cela.
Comme tout·e musicien·ne improvisateur·ice, je m’intéresse à des musiques différentes. Celles des Balkans et des Antilles sont des musiques sur lesquelles j’ai scotché particulièrement, parce qu’elles sont reliées à la danse et qu’elles expriment le rythme comme j’aime l’entendre et le pratiquer.
- Quel est votre rapport à la musique classique, que vous avez notamment étudiée au CRR de Montpellier et au Conservatoire Royal Flamand de Bruxelles ?
Je suis née dans la musique classique. Mon père et mon grand-père la pratiquaient avec force. Étant petite, je voulais leur ressembler. Quand j’ai commencé la musique, j’ai été propulsée dans le monde des conservatoires de musique classique. J’adore cet univers pour la beauté de la musique et du son, mais il ne me correspondait pas. J’aspire à développer un univers artistique personnel. C’est une possibilité que j’ai pu rencontrer avec le jazz, l’improvisation et la composition. Mais les musiques classique et contemporaine restent des influences fortes dans mon travail, le son que je développe, les mélodies que je recherche.
- Hélène Duret © Franck Bigotte
- Vous avez créé le quintet franco-belge Synestet. Pouvez-vous nous expliquer le nom de cette formation ?
C’est un choix personnel car je suis moi-même synesthète, je vois les chiffres et les lettres en couleurs. J’avais envie de m’en servir pour construire la musique de ce groupe, d’autant plus que certaines de mes idées musicales sont venues après des visites d’expositions de peinture.
- Au cœur de Synestet, on trouve une cellule (avec Maxime Rouayroux et Benjamin Sauzereau) qui forme le trio Fur. Pourquoi cette distinction et ce choix de vous exprimer en quintet ou en trio ?
L’histoire de Fur date de mai 2019, quand Synestet avait été sélectionné pour le tremplin Jazz à Porquerolles. Prévenus beaucoup trop tard, Fil Caporali (contrebasse) et Sylvain Debaisieux (saxophone ténor) n’étaient pas disponibles. J’ai proposé d’y aller quand même sous la forme du Synestet Trio. Jazz à Porquerolles a accepté et nous avons dû, Benjamin, Maxime et moi-même, adapter le répertoire en très peu de temps. La musique qui en est ressortie était merveilleuse et me mettait à un endroit que je cherchais depuis longtemps, avec de la place pour nous exprimer librement dans les improvisations, au sein de morceaux proches du format chanson à l’esthétique pop/folk, avec un son chambriste où le groupe devient comme un instrument à lui seul.
Ce fut si spontané que nous nous sommes « éclatés » et avons obtenu le premier prix et le prix du jury. J’ai proposé à Benjamin et Maxime de développer ce qui était en train de naître. Nous avons décidé ensemble d’appeler ce trio Fur, pour l’expression « au fur et à mesure », qui reflétait plutôt bien la manière dont ce trio est né. Depuis nous avons réalisé deux albums, Boîte noire et Bond, et avons signé sur le label hongrois BMC. Nous en préparons un troisième à paraître fin 2026 ou début 2027.
- Vous avez rejoint le Tricollectif en 2021. Quel sens donnez-vous à ce rapprochement ?
Quand le Tricollectif m’a proposé de rejoindre ses rangs, ça m’a paru comme une évidence puisque les musiques qu’ils défendent m’ont toujours semblé proches des miennes. Je connaissais déjà certains des membres du Tricollectif comme Quentin Biardeau, Valentin Ceccaldi, Robin Mercier ou Jean-Pascal Retel. On se croisait notamment à Bruxelles lorsque j’y habitais. Je les ai rejoints à un moment où j’avais besoin de meilleurs moyens et de « sérieux » dans la production de mes projets. Cela correspond donc à une étape dans mon parcours et un ancrage dans les esthétiques que je défends.
- On vous avait repéré au sein du Trio Suzanne (avec Maëlle Desbrosses et Pierre Tereygeol), qui semble ne plus exister, malgré toutes ses promesses. Que retirez-vous de cette histoire ?
Le trio Suzanne est un bel exemple de ce que j’ai gardé de la musique classique. Avec Pierre et Maëlle, j’ai pu retrouver une relation au son de groupe acoustique, à l’instrument pur et développer le lien à la voix. Ça a été l’occasion de plonger dans les possibilités infinies de la clarinette basse. De sa nuance la plus pianissimo à son forte le plus puissant, tout en embrassant un son de groupe à l’instrumentation plutôt atypique grâce à l’alto, la guitare acoustique et les voix. Le jazz, la musique classique du XXe siècle et la musique folk sont les influences fortes dans ce trio. Tout cela constituait un excellent terrain d’exploration pour la composition ainsi que l’improvisation instrumentale et chantée.
Grâce à Jazz Migration, nous avons énormément joué, et donc forgé un son de groupe, un vocabulaire commun précieux. L’album Travel Blind, que nous avons sorti en 2023, avec Émile Parisien en invité, en est une belle preuve. J’ai été honorée de servir cette musique avec Pierre et Maëlle. Nos chemins ont eu raison de nous, mais c’est avec joie que j’échange sur ce groupe et la musique que nous avons défendue.
- Hélène Duret © Franck Bigotte
- Vous semblez aimer être là où on ne vous attend pas forcément. Avec Quentin Biardeau, vous avez donné naissance à Couple Sympathique qui a récemment publié un EP. On est assez loin du jazz, plutôt dans une esthétique pop avec des formats courts sous forme de chansons.
La pop ou le rock sont des musiques que j’ai énormément écoutées pendant mon enfance et mon adolescence. Lorsque Quentin et moi nous nous sommes rencontrés, il était évident qu’il fallait qu’on fasse de la musique ensemble et il était encore plus évident que cette musique serait pop et scintillante. On a amorcé ce chantier en 2020, pendant le confinement, où je n’étais pas chez moi, sans clarinette ni autre outil de travail. Une situation très particulière où il ne me restait plus que ma voix et mon papier à musique pour m’exprimer, accompagnée de Quentin qui pouvait produire à l’aide de son ordinateur. Nous avons pris notre temps puisque ce n’est que cinq ans plus tard que nous sortons notre premier EP, Le Monde qui tombe. Pour moi, Couple Sympathique est le carrefour de tout ce que je développe depuis des années : le chant lead, les clarinettes, les claviers, la composition, le texte, la performance, les solos.
Lorsqu’on a l’occasion de contacter la joie, elle peut aller jusqu’à être un outil d’auto-défense, voire d’insoumission dans notre société
- Qu’il s’agisse de Fur ou de Couple Sympathique, votre travail semble porté par une forme de joie.
Vous abordez là un beau sujet qui mériterait des heures d’échanges. Je suis ravie de lire cela car la joie est pour moi un état qui me tient particulièrement à cœur. Elle n’est pas toujours facile à atteindre, mais je pense qu’elle est essentielle dans nos vies. Pour moi, lorsqu’on a l’occasion de contacter la joie, elle peut aller jusqu’à être un outil d’auto-défense, voire d’insoumission dans notre société. J’aime et j’ai besoin qu’elle soit toujours quelque part dans ma musique, dans ma vie et de la communiquer publiquement.
- Couple, toujours ! Récemment, vous êtes allée à Budapest dans le cadre de « Thérapie de couple », à l’instigation de Daniel Erdmann. Parlez-nous de ce projet.
Daniel Erdmann m’a proposé en 2022 de faire partie de cette création franco-allemande, produite par Jazzahead et Jazzdor, avec 3 musicien·nes allemand·es (Eva Klesse, Robert Lucaciu et Daniel Erdmann) et 3 musicien·nes français·es (Vincent Courtois, Théo Ceccaldi et moi-même). C’est une proposition qui m’a enchantée et m’enchante aujourd’hui encore. J’aime la musique de chacun des membres du groupe, c’est une rencontre autant musicale qu’humaine. Nous avons beaucoup joué sur la scène européenne et aujourd’hui, l’album est enregistré et devrait sortir courant 2026 chez BMC. Daniel a composé une musique sur mesure pour les musicien·nes. Avec Thérapie de Couple, ces solistes aux tempéraments très marqués peuvent s’engouffrer librement dans la performance.
- Quels sont vos autres projets ?
Je travaille sur le nouveau répertoire du troisième album de Synestet (mai 2026) avec le tromboniste Nils Wogram en invité, dont j’ai découvert la musique par Daniel Erdmann. C’est un projet résolument européen (France / Belgique / Allemagne / Suisse), rendu possible grâce à BOZAR, le label bruxellois Igloo Records, le festival Jazz sous les Pommiers, ma structure de production La Nageuse et notre bookeuse Nora Helali (Chouette asbl). Je travaille aussi sur un nouvel ensemble qui me tient particulièrement à cœur, pour 5 soufflants et 1 batterie. Une idée à laquelle je réfléchis depuis quelques années et que je peux enfin réaliser, grâce à Delphine Joussein (flûte, effets), Léa Ciechelski (saxophone alto), Quentin Biardeau (saxophone ténor), Jessica Simon (trombone), Ariel Tessier (batterie) et moi-même aux clarinettes et compositions. C’est une production du Tricollectif, en partenariat avec Nevers Djazz festival. Et enfin, je construis en parallèle une forme en solo, entre chanson et musique improvisée, pour clarinettes, voix et claviers. Là aussi, une forme qui réunira tout ce que je développe depuis des années.