Chronique

Helveticus

Our Way

Daniel Humair (dms), Samuel Blaser (tb), Heiri Känzig (b).

Label / Distribution : Blaser Music

C’est une rencontre intergénérationnelle que propose Our Way, quatre ans après 1291, premier album d’un trio 100 % suisse et néanmoins ouvert à tous les vents. On peut certes dessiner des frontières, il n’est rien de plus vivifiant que de les franchir et de s’en affranchir. Unis sous la bannière Helveticus, les Helvètes Daniel Humair, Samuel Blaser et Heiri Känzig font ici une démonstration, à la fois savante et joyeuse, de leur désir de raconter des histoires de jazz en suivant, pour mieux la faire voler en éclats, la règle guidant le premier album, puisqu’on y trouve mêlés des compositions originales, des standards de jazz revisités (Thelonious Monk, Duke Ellington) et des adaptations de chansons folkloriques suisses.

Savante parce qu’au-delà des références musicales et historiques qui les nourrissent, la forme même des treize rendez-vous (chacun de durée assez brève) est un modèle de ce que le jazz nous enseigne depuis toujours. Il s’agit de s’emparer d’un thème (osons le dire : une mélodie) et de le modeler collectivement avec une forme d’amour gourmand, sans jamais perdre de vue son essence rythmique, cette pulsation née du cœur et de l’âme. À cet égard, Our Way tout autant que 1291 est une leçon de musique pendant laquelle la parole circule à une étonnante vitesse. C’est en outre une leçon humaine, parce que ce qui se passe entre les trois protagonistes relève d’une forme de télépathie. On connaît depuis bien longtemps l’inventivité et le sens hors du commun de l’écoute chez Daniel Humair. Ils rayonnent ici, multicolores et stimulants comme jamais, dans une invitation ludique à ouvrir en grand les fenêtres de l’imagination. Ainsi sollicité par son aîné, Samuel Blaser ne perd jamais une occasion de relever le gant : on sait la multiplicité de ses influences – Monteverdi, Berio, reggae et free jazz, même combat ! – et la versatilité de son jeu de trombone, qui offre ici un nouvel exemple de transformisme malicieux. Confronté à la créativité de deux partenaires épris de liberté, Heiri Känzig, sans jamais pratiquer le grand écart, place son assurance groove au centre du jeu, s’autorisant çà et là une incision à l’archet, mais toujours désireux d’avancer avec eux, vers plus de lumière et de plaisir, sur leur chemin commun.

Bien malin qui saura donner un âge à cette musique appartenant à hier comme à demain. On pourrait s’amuser à dire qu’elle est une valeur sûre, qu’elle fait partie de celles qui comptent… en Suisse ! Ce serait oublier son universalité et son incroyable vivacité. Le trio Heleveticus a trouvé le secret de la jeunesse éternelle.