Chronique

Hermia / Ikonen / Boisseau / Verbruggen

Orchestra Nazionale della Luna

Hermia / Ikonen / Boisseau / Verbruggen

Label / Distribution : Jazz Avatars

On ne sait guère de choses des traditions musicales des Luniens, ni du mode d’élection ou de la durée du mandat du directeur artistique de l’orchestre, mais il y a une certitude ; depuis que Pierrot et Colombine ont rejoint la Commedia dell’arte, la langue italienne s’est propagée à l’ensemble de l’astre. Ce sera donc l’Orchestra Nazionale della Luna qui aura la tâche d’incarner ce langage lunaire, avec l’allégresse du bateleur. En témoigne la joie turbulente de « Anastasia Anastaa Sian » où le jeu mutin et acéré de Manuel Hermia est soutenu par le piano percutant de Kari Ikonen (déjà entendu avec Vincent Courtois). Ces deux compositeurs, en charge de tous les titres de ce premier disque, impulsent l’énergie nécessaire pour faire le trajet supersonique entre la Terre et son satellite.

Une équipe européenne à l’assaut de la Lune, ce n’est pas si courant. Ses quatre représentants sont à majorité belge, puisqu’à Hermia, dont on avait apprécié la puissance en trio, se joint le batteur Teun Verbruggen, agitateur fanfaron du Flat Earth Society, le grand orchestre anversois. Dans l’autre moitié, outre le claviériste finlandais, on retrouve le contrebassiste hexagonal Sébastien Boisseau, dont l’élégance ne fait jamais défaut, notamment dans la jolie mécanique coltranienne de « First Visions ». L’alchimie qui naît entre les improvisateurs est immédiate et très limpide. Même si les échanges sont vifs, à l’instar de « Begemot » qui offre une belle passe d’arme au sein d’une base rythmique où s’intègre la percussive main droite d’Ikonen, il n’y a pas d’acrimonie.

Difficile de couler comme de l’eau de roche sur la surface aride d’un astre dépourvu d’atmosphère. Mais bondir, surtout lorsque la gravité nous rend six fois plus léger, c’est possible : Manuel Hermia y parvient à renfort de cris bravaches. Long morceau, « Begemot » en est assurément le sommet. On peut être lunien sans être lunaire, c’est l’enseignement majeur de ce bel album. Même quand Kari Ikonen fouille dans son Moog extraterrestre à la recherche de timbres délicieusement acides (le chaloupé étrange de « Karibou », où Hermia saisit sa flûte), une assise profonde, presque tellurique, rattache le quartet à un propos tangible, qui n’a rien d’évanescent. Cela n’oblitère pas une certaine poésie, souvent porté par le saxophone d’Hermia, lyrique sur « Luna 17B ». L’Orchestra Nazionale della Luna est une œuvre sans face cachée. Une brillante rencontre.