Chronique

Heroes Are Gang Leaders

The Amiri Baraka Sessions

Thomas Sayers Ellis (voc), James Brandon Lewis (ts), Margaret Morris (voc), Luke Stewart (b), Janice Lowe (p, voc), Randall Horton (voc), Mariahadessa Ekere Tallie (voc), Heru Shabaka-ra (tp), Brandon Moses (g), Warren “Trae” Crudup (dms), Da Frontline (voc), Catalina Gonzalez (g, voc), Michael Bisio (b), Dominic Fragman (dms).

Label / Distribution : Flat Langston’s Arkeyes

Heroes Are Gang Leaders est un ensemble formé à New-York en 2014, en hommage au poète Amiri Baraka, décédé quelques mois plus tôt et qui fut une personnalité centrale du mouvement Black Power. Le nom de la formation est d’ailleurs directement issu de l’un de ses poèmes. Le groupe enregistra ce disque en trois sessions de six heures, réparties entre 2014 et 2015. Mais s’il fut le point de départ du mouvement, il ne sort qu’en ce début de 2019 et prend la cinquième place dans la discographie du groupe. Car bien qu’enregistrés après, quatre disques sont donc déjà sortis. The Avant-Age Garde I Ams of the Gal Luxury, dédié à un autre poète, Bob Kaufman, est paru en 2015. Puis Highest Engines Near/Near Higher Engineers, paru quant à lui en 2016, mettait en avant encore un autre poète, Gwendolyn Brooks. Vint ensuite le single Hurt Cult, également sorti en 2016, et enfin l’album Flukum, paru en 2017.

Véritable pépinière d’activistes pluridisciplinaires (poètes, instrumentistes, vocalistes) Heroes are Gang Leaders est comme une famille résidente d’une maison aux portes grandes ouvertes. Les membres entrent et sortent en permanence. Hormis le noyau dur du collectif, composé de Thomas Sayers Ellis, James Brandon Lewis, Margaret Morris ou encore Ryan T. Frazier (aka Heru Shabaka-ra) la formation fluctue en fonction des albums et se complète à chaque fois d’une multitude d’invités. Le collectif renouvelle la grande tradition de la Black Poetry, avec une énergie et une détermination au poing levé, armé de mots pour exprimer une révolte et de la musique comme ultime cri d’espoir. Thomas Sayers Ellis, poète new-yorkais et co-fondateur du groupe avec le saxophoniste James Brandon Lewis, décrit HAGL comme « un groove exprimant un salut de la tête à Mr Baraka » et situe les influences musicales du côté de Thelonious Monk, Sun Ra, le Wu Tan Clan ou encore A Tribe Called Quest.

Après un premier « Amina » - une introduction au saxophone solo - le groove entraînant de « Superstar », un titre de 12 minutes à deux versants distincts, interpelle immédiatement par le foisonnement d’expressions qu’il contient. La musique est bigarrée, fertile, et les poèmes sont déclamés avec rage ou tendresse, dans une transe pulsative. Le disque est traversé de réels moment de grâce, comme « Leautoroiography », qui suspend le temps et coupe le souffle. L’interprétation est permissive et insouciante, à l’image d’un virevoltant en migration libre, au gré du vent, qui effleure le sol sans jamais se laisser prendre. Thomas Sayers Ellis semble habité par les mots qu’il prononce, et le saxophone de James Brandon Lewis déclame des phrasés qui résonnent comme des manifestes. Le saxophoniste ponctue l’album de trois versions de cette mélodie qui ouvre le disque, « Amina », qu’il décline à chaque fois avec une intention et un jeu différent. Le disque s’achève sur la dernière version, déchirante, et troublante de familiarité avec un autre poète du saxophone, David S. Ware.

Les reliefs de cette musique sans concession sont radicaux et ses pentes abruptes mais si le propos est direct, il n’est jamais linéaire. Frais, engagé et engageant, débordant de sensualité, The Amiri Baraka Sessions est un rappel à l’agir, résumé en cette phrase qu’une enfant prononce en introduction au titre « The Real Illegal Must Be Crazy » : Craziness is no act, not to act is craziness.