Portrait

Hymn For Her

Rencontre avec le duo de bluegrass punk, dont une compilation est sortie sur le label nato.


Photo © Z. Ulma

Hymn for Her c’est un homme et une femme, lui pour elle, elle pour lui, alliés sur scène comme dans la vie. Maggi et Pierce, alias Lucy Tight et Wayne Waxing, une fois leurs instruments en mains, forment un duo de bluegrass teinté de multiples influences psychédélique, punk, country… Ils se produisaient au New Morning au printemps dernier pour la sortie de leur troisième album.

Constamment sur la route, Maggi et Pierce voyagent aux quatre coins du monde, au gré des concerts. Sur le territoire américain, ils traversent les villes avec leur mobil-home et emmènent leur fille de 7 ans quand ils le peuvent. Dans cette maison ambulante pas bien grande, ils ont réussi à caser un mini studio d’enregistrement pour produire leur second disque, Lucy & Wayne’s and the American Stream (2010). Officiant depuis 2008 avec Year of the Golden Pig, c’est après une longue route qu’ils présentent leur dernier album.

« Nous jouons beaucoup d’endroits différents, évidemment chaque concert est unique, mais dans les grandes villes comme New York ou Paris, il se dégage souvent la même ambiance. Les gens sont plus difficiles à convaincre, à entraîner parce qu’ils ont déjà vu et entendu beaucoup de choses et peuvent être très critiques. Mais, tout de même, en dehors des USA, il est vrai que le bluegrass est moins répandu et que le public est généralement plus réceptif. Ce qui ne veut pas dire que les Parisiens sont blasés, au contraire : s’ils aiment, ils le montrent. Disons que de manière générale, dans les villes, il faut vraiment arriver à faire quelque chose de neuf. »

Hymn For Her © Jeff Fusco, courtesy of nato

Hymn For Her s’est déjà produit un peu partout en Europe, notamment au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse et en Autriche, ce qui rappelle de bons souvenirs à Maggi : après avoir appris dans l’enfance la guitare et le chant, elle a vécu deux ans en Autriche. Là-bas, elle a découvert les rudiments de la scène en jouant dans la rue et dans le métro. Après ce séjour européen, elle travaille quelque temps dans un magasin de musique et y fait la rencontre de Pierce. « Il venait acheter un jeu de cordes et il est resté des heures à tester les guitares. Je l’ai accompagné et c’est ainsi que nous avons commencé à jouer très régulièrement ensemble. »

« Oui », enchaîne Pierce, « nous avons ensuite joué en trio avec un de nos amis qui travaillait en tant que bûcheron pour un homme du nom de Johnny Lowe. Un jour, pendant qu’ils abattaient un arbre, cet ami a eu un accident avec la scie et s’est retrouvé à l’hôpital avec le visage en sale état. Il s’en est sorti, et parce que Johnny s’en voulait pour l’accident, il lui a offert l’une des cigar box guitars qu’il fabriquait. Nous nous sommes dit que ce cadeau portait le mauvais œil et nous l’avons laissé traîner dans un placard pendant des années. Entre-temps, nous étions devenus un simple duo et quand Maggi est retombée par hasard sur cette guitare particulière, elle a commencer à en jouer un peu en concert. En voyant que le public semblait vraiment adhérer à ce son doux et grave, nous avons décidé de la garder et de l’inclure dans nos compositions. C’est un instrument à la fois simple et complexe car il ne possède que trois cordes mais ses possibilités sont immenses. Et aujourd’hui Johnny Lowe est reconnu comme musicien et fabrique toujours ses cigar box guitars à Memphis, il les appelle des Lowebow. »

Leurs deux derniers albums sonnent beaucoup plus live que le premier, qui avait été enregistré essentiellement en studio. « Notre musique est constamment en évolution, c’est un work in progress. Si nous enregistrons une chanson, elle ne pourra jamais être reproduite à l’identique. Aujourd’hui, il y a beaucoup de différences entre un enregistrement studio et un concert. Nous voulions assumer ces différences, nous n’essayons pas de jouer une piste à l’identique du disque, mais cherchons à en reproduire le feeling. »

Pour cette raison, ils n’utilisent que du matériel analogique. « À une époque, je me suis demandé pourquoi je travaillais si dur avec l’analogique alors que le numérique ne semblait avoir que des avantages ; mais le ressenti est différent. Certes, cette méthode nous prend plus de temps mais la qualité et le rendu sont bien meilleurs. En restant en analogique, notre musique est plus vivante, moins parfaite mais plus accessible. En tant que musicien, je connais le système analogique, je comprends comment cela fonctionne, donc quand je joue, je mets toutes mes forces dedans, il n’y a pas d’artifice et pas d’ajouts en post-production. Et cette énergie, je suis sûr que l’auditeur peut la ressentir. » Et Maggi d’acquiescer : « Nous partageons tout avec le public, les bonnes et les mauvaises choses. Parfois les erreurs ont du charme. »

Hymn For Her © Nanny Dana, courtesy of nato

« Pour écrire nos textes, nous choisissons souvent des thèmes assez courants - les peines de cœur, la vie, la mort. En fait, beaucoup de paroles nous viennent de notre fille, qui pose énormément de questions sur les choses de la vie, comme tous les enfants de son âge. Parfois, certaines de nos chansons s’inspirent de personnes réelles, comme Rosa Parks, symbole de la lutte contre la ségrégation raciale aux USA. En fait, c’est tout bête, mais l’idée nous est venue parce qu’à l’époque où nous vivions à Detroit, nous passions quotidiennement en voiture sur le boulevard Rosa Parks. Une autre de nos compositions parle d’Ivy Pacheco, une petite fille qui est morte noyée en même temps que sa mère et sa grand-mère, qui avaient tour à tour tenté de la sauver. Cette histoire affreuse m’avait beaucoup choquée à l’époque ; j’avais donc écrit une chanson sur elles, qui était restée de côté. Des années plus tard, j’ai écrit un mail au frère d’Ivy, qui a répondu longtemps après, au moment où nous enregistrions notre dernier album. Nous avons pris cela comme un signe et nous avons intégré la chanson dans la playlist. »

Il paraît assez incroyable qu’ils arrivent à jouer d’autant d’instruments en même temps. Maggi joue de la basse et de la guitare électrique, ou de la basse sur la guitare acoustique. Pierce joue de la batterie, de l’harmonica, de la guitare et chante. « Nous voulons donner l’impression d’un groupe, mais la formation en duo reste plus pratique au niveau de l’organisation. Pierce est d’abord batteur, c’est pour cela qu’il se sert régulièrement de son banjo comme d’une percussion. »Beaucoup de joueurs de banjo ne veulent pas abîmer leur instrument en tapant dessus, mais moi je m’en fiche. Je le surnomme mon banjo-bango.
— Chez nous à Philadelphie (Pennsylvanie), beaucoup de gens jouent du banjo, c’est un instrument très populaire. C’est très lié au renouveau du bluegrass aux États-Unis, les gens essayent de plus en plus d’apporter une touche de musique traditionnelle dans leurs compositions, ça donne un côté vintage très en vogue. Mais nous ne faisons pas de reprises de chansons traditionnelles, nous préférons nous concentrer sur nos propres compositions auxquelles nous ajoutons de petites citations, par exemple la mélodie de « Riders on the Storm » des Doors. Nous adorons cacher de petites références musicales et les faire deviner au public, susciter un souvenir.
— Les gens pensent souvent que nous venons du Sud des États-Unis à cause des influences country et blues de notre musique, mais nous cultivons une multitude d’influences qui nous viennent principalement de nos voyages."

En concert, on décèle aussi du punk, notamment dans la mise en scène. L’énergie que Hymn for Her déploie pour faire sonner les mots et donner du sens aux mélodies touche le public - même les non-initiés tapent du pied pour les accompagner. Finalement, le bluegrass a peut-être de beaux jours devant lui en France.