Chronique

Ichiro Onoe

Wind Child

Ichiro Onoe (dms), Geoffrey Secco (ts), Ludovic Allainmat (p), Mátyás Szandai (b).

Label / Distribution : Promise Land

Ichiro Onoe n’est pas un débutant. Ce batteur japonais né en 1957 vit à Paris depuis une vingtaine d’années, ce qui lui confère le statut enviable de sideman recherché : il s’est produit aux côtés de Chris Cheek, Bruno Angelini, Olivier Ker Ourio, Philippe Le Baraillec, mais aussi comme accompagnateur de chanteuses telles que Mina Agossi (avec laquelle il a enregistré cinq albums entre 2005 et 2012), ou même Jane Birkin lors d’une récente tournée. Lorsqu’il était au Japon, on l’a vu évoluer avec Ron Carter, Tatsuya Sato, Yasuko Agawa ou encore Makoto Ozone. Un long parcours donc, des rencontres multiples, au premier rang desquelles des musiciens avec qui il a choisi de former ce quartet. Et tout porte à croire que leur premier disque, Wind Child, marque un nouveau départ. Peut-être parce que pour la première fois, le batteur joue sa musique et passe au premier plan. Il faut s’en réjouir car la séduction opérée par les huit compositions de l’album, toutes signées Onoe, est immédiate.

Disque de jazz aux couleurs classiques de par sa formule instrumentale (saxophone, piano, contrebasse, batterie), Wind Child cherche à s’échapper dès que possible d’un cadre trop contraint. Si une bonne partie des pièces respecte la grammaire d’un jazz hard bop de grande facture, au point qu’on se demande parfois si on ne les a pas déjà entendues, leurs thèmes accrocheurs (« Ladies’ Day », « Ermitage », « Reda », ou l’irrésistible « Playground ») sont magnifiés par l’interprétation d’un quartet en équilibre et habité d’une conviction fiévreuse. Le phrasé dense et fougueux – probable héritier de celui de John Coltrane – du trentenaire Geoffrey Secco au ténor, la solidité à toute épreuve de l’impressionnant Matyas Szandai [1], en communion avec le batteur tout au long de l’album, la brillance mélodique de Ludovic Allainmat au piano, lui-même en association intime avec une contrebasse décidément au cœur du dispositif rythmique : tels sont les ingrédients musicaux et humains, unis pour le meilleur, qui permettent au jeu d’Onoe, souple et puissant à la fois, d’exposer toute la richesse de ses couleurs. Celles-ci sont si nombreuses qu’on est tenté de le comparer à un peintre dont les motifs iraient de la frappe puissante et sèche (le finale de « What Do You Want ») au drive conquérant des cymbales (« Ladies’ Day »), en passant par le bruissement sablonneux des balais sur la caisse claire (« Recesses Of The Heart »), le foisonnement (« Playground ») ou les oppositions solaires entre fûts et cymbales (« Dancing With Eos »).

Au-delà de la variété des climats, certaines compositions réservent de belles surprises ; ainsi l’étonnant « What Do You Want » qui commence par un duo noueux entre saxophone et contrebasse jouée à l’archet, avant de s’abandonner à une valse instable qui, à son tour, explose et ressurgit à intervalles réguliers après avoir été bousculée par des échanges bruitistes. D’autres pièces semblent nimbées d’une douceur brumeuse (« Recesses Of The Heart ») et revêtent un caractère plus poétique, comme apaisé.

Ichiro Onoe est un musicien aux influences multiples – il revendique celles de Coltrane, Mingus, Weather Report ou Bob Mintzer – dont l’équation personnelle trouve ici une première résolution des plus convaincantes. Il souffle sur sa musique un air vivifiant – est-ce celui du « vent de l’enfance » ? – nourrie par l’énergie de quatre musiciens d’une grande justesse. Mais aussi par une conviction : sa musique doit exprimer avec ferveur toute sa sensibilité. Il lui aura juste fallu attendre le bon moment pour la laisser paraître au grand jour. Pour le reste, est-il besoin de redire une fois encore qu’Ichiro Onoe est un magnifique batteur qu’il est temps de découvrir ?

par Denis Desassis // Publié le 23 février 2015

[1Contrebassiste hongrois qui s’est déjà illustré auprès de grands noms tels que Chico Freeman, Rosario Giuliani, Kurt Rosenwinkel ou Chris Potter.