Chronique

Ill Chemistry

Ill Chemistry

Desdamona (voc), Carnage The Executioner (voc), François Corneloup (saxes, 10), Mohamed Abozekry (oud, 5)

Label / Distribution : Nato

Découverte en France sur le dernier album d’Ursus Minor, Desdamona avait marqué les amateurs de hip-hop aux oreilles ouvertes sur cette scène, qui ne renâcle pas à se mêler au jazz. On est heureux de retrouver la rappeuse de Minneapolis au sein du duo Ill Chemistry avec un beat-boxer de grand talent, Carnage The Executioner. Elles sont rares et en général brillantes, les femmes du rap. Pas celles qui se dandinent en vêtements trop courts dans le but de vendre une musique même plus assez correcte pour accompagner les pubs de parfums bon marché - celles qui ont le verbe haut, comme ici dans « Hustle The Struggle ».

Desdamona est une figure féministe du rap underground. Celui qui reste encore et toujours le « CNN de la rue » cher à Public Enemy. Énoncé clair, flow extrêmement précis tout en restant velouté et proche de la soul music, textes au scalpel… On comprend aisément que sa musique séduise nato. « Ressuscitate », n’affirme-t-il pas ce qui pourrait être inscrit au fronton du label de Jean Rochard : « Les formes musicales ne périssent que si on le permet » ?

Ainsi, à trente ans passés et à travers sa collection Hope Street, la maison se met au hip-hop pur et cru. Ill Chemistry laisse transparaître l’influence des glorieux aînés remontant à l’âge d’or, tels A Tribe Called Quest, Common ou encore Saul Williams pour le Spoken Word et l’activisme. Toujours sur « Resuscitate », véritable manifeste pour un genre redevenu combatif, Desdamona martèle : « Le hip-hop a toujours consisté à créer à partir de rien ». Les rythmiques affolantes de Carnage, qui préfère l’efficacité à la démonstration [1] et les brûlots de la rappeuse suffisent en eux-mêmes à enflammer l’auditeur. Pour s’en convaincre on écoutera « Phenom-a-mama » ; qui permet aussi d’apprécier le travail d’arrangements et de production signé Paul Marino et Jean Rochard…

L’alchimie entre les deux musiciens, par ailleurs travailleurs sociaux dans l’État industriellement ravagé du Minnesota, est d’une rare vitalité ; elle puise son empathie et sa rudesse dans un quotidien qui, de toutes façons, ne se perd pas en conjectures. Desdamona ne dit-elle pas dans « State of Affairs », avec l’humour désabusé du spectateur attentif, que « Surplus de MC, manque de public / La pensée peu critique mais allégorie à tout va » ? A deux reprises cette entente parfaite se pare d’un nouvel alliage lorsque le duo inclut un troisième larron, ce qui n’édulcore en rien son propos. On retrouve ainsi, aux saxophones, François Corneloup - comparse de Desdamona dans Ursus Minor, sur le très symbolique « Antarctique », mais aussi Mohamed Abozekry au oud sur « Place Tahrir Everywhere », aussi lyrique qu’explicite.

Avec en prime un livret du graphiste Rocco dans la plus pure tradition Hope Street, Ill Chemistry signe un premier album réjouissant et sans concessions. On se prend à rêver avec nato qu’un jour, la musique prendra le pas sur les étiquettes. Les curieux découvriront qu’un jalon de plus a été posé par ces petits chimistes…

par Franpi Barriaux // Publié le 30 janvier 2012

[1Discipline à part entière du hip-hop, le Beat-boxing donne lieu, comme l’art des turntablists, à des compétitions qui tiennent plus du comice agricole que de la joute musicale.