Ingrid Laubrock + Kris Davis

Les deux musiciennes ont enregistré ce duo à l’été 2019 dans l’état de New York où elles résident. Deux musiciennes qui partagent depuis des années leurs aventures musicales, leurs groupes et leurs discussions. Aussi, un duo, une discussion ouverte, un échange sincère et confiant, sans aucune falsification semblait aussi évident qu’indispensable.

Avec neuf morceaux composés à parts quasi égales par l’une, l’autre ou les deux, Blood Moon est un exemple d’aboutissement en matière d’interaction musicale.
Les éléments sont partiellement écrits, laissent de larges interstices pour improviser et si c’est souvent Ingrid Laubrock qui sort du cadre c’est parce qu’elle peut, avec son instrument monodique à hauteur variable, tordre le cou aux tonalités et, jouant du bec et des clés, s’offrir quelques sorties micro-tonales. C’est alors Kris Davis, dans une veine très contemporaine, qui peut offrir un cadre à ces envolées. La pianiste embrasse tout le clavier, avec une puissance ambidextre, doublant les accords ou les traits mélodico-rythmiques de sa pleine technique classique.

Il y a toujours cette volonté de tonalité, d’harmonisation qui pousse Kris Davis à retomber sur un accord, quoi qu’il arrive, même si l’improvisation et l’interaction ont poussé les deux musiciennes dans des dialogues sans grammaire ni syntaxe. La forme du duo rejoint alors celle des lieder.

Sur « Flying Embers », au contraire, c’est une effusion à laquelle on assiste. Une effusion chimique aussi, comme une coulée lente qui s’échappe tristement d’un corps en lévitation.

Dans ses différents projets, qu’elle soit leader ou invitée, lorsque Kris Davis propose une composition, il y a toujours ce sens de la narration, de la couleur et la forme qui font de ses morceaux des photographies de souvenirs, les clichés de l’instant.

Blood Moon est déjà un disque d’importance, aussi bien pour la saxophoniste que pour la pianiste. Ce magnifique échange suspendu résistera au temps, c’est une évidence.