Isabelle Olivier
Don’t Worry, Be HaRpy
Isabelle Olivier (hp), Céline Grangey (fx, élec), Larry Gray (b), Marc Buronfosse (b), Paul Wertico (dms), Fabrice Moreau (dms)
Label / Distribution : Enja Records
Après vingt ans passés à naviguer sur les mers avec sa harpe, d’Island#41 à des Dodecasongs au parfum d’iode, Isabelle Olivier a suivi les oiseaux de passage. Ce sont eux qu’on entend au début de Don’t Worry Be HaRpy, son nouvel album, publié sur le label Enja Records et sous la direction artistique de Bojan Z. Captées par Céline Grangey, qui projette sur ce double trio - un français, un américain - toutes sortes de décors naturels, les mésanges emmènent la musique, dès l’« Intro », dans un bois aux vastes clairières - non pas une forêt primaire aux branches entrelacées et à la noirceur humide, mais une futaie plantée par l’homme et qui se déploie au gré de l’archet du contrebassiste Larry Gray. Les essences nobles se succèdent, des oliviers au tracé tortueux ou des figuiers qui vous imprègnent de leur gomme, perclus d’effets électroniques. Isabelle et sa bande sautent de branches en branches à la recherche du petit baron Côme Laverse du Rondeau. Car l’histoire quelle nous conte ici sous forme d’opéra sans paroles est, d’acte en acte, celle du doux héros d’Italo Calvino.
Les seules voix qu’on y entend sont celles qui appellent à la Révolution et à la Liberté dans un « Forest Mood » lyrique et grave. On y découvre ensemble les deux batteurs Paul Wertico et Fabrice Moreau, dans un déluge de rythmes et de cordes saturées qui rappellent à toutes fins utiles que la harpe n’est pas un instrument policé pour salon bourgeois. Il faut dire que le petit Côme incarne la liberté et ses conséquences, et qu’Isabelle Olivier lui emboîte le pas, adaptant ses cordes à tous les climats, muant sa harpe en luth ou en kora au moyen de savantes pédales d’effet. Perché dans ses arbres, Côme domine le monde sans le toiser, scrute différents paysages et les épouse tour à tour. Chacun a sa spécificité. Le trio français, au sein duquel Marc Buronfosse rejoint Fabrice Moreau, travaille une atmosphère anguleuse et avant tout urbaine (« 50/50 »). Quant à celui de Chicago, il se fond dans un paysage brut mais moins tourmenté où la harpe se fait plus naturelle. Notamment lorsque Larry Gray, compagnon régulier de Ramsey Lewis, passe au violoncelle pour harmoniser les éléments avec quiétude, comme le vent et la pluie qui soufflent dans les feuilles. Le baron perché sait évoluer de la légèreté désinvolte et poétique d’« Alone In A Tree » à la gravité impétueuse de « Waltz », où le crissement des paumes sur le bois des instruments à cordes, ajouté à l’effervescence électronique qui enveloppe les cymbales, semble parfois provoquer un vacillement qui ne va jamais jusqu’à la chute.
On le sait, Isabelle Olivier est une remarquable conteuse. Ses histoires étaient jusqu’ici étaient courtes et colorées. En s’emparant du roman de Calvino, elle démontre à présent qu’elle sait aussi tenir la distance narrative, en conservant toute sa douceur contemplative, toute son ingénuité. En témoigne la jubilation immédiate qui émane du « Final », où les deux trios mêlés s’élancent en une danse joyeuse et communicative au milieu des oiseaux. Au-delà du clin d’œil à Bobby McFerrin, Don’t Worry, Be HaRpy est une réjouissante injonction que l’on suit le cœur léger et le pas leste. L’influence de Côme et de ses oiseaux, sans doute.