Entretien

István Grencsó

Un saxophoniste ardent, un héraut du Free

István Grencsó - D.R.

Méconnu en France en dépit d’une discographie impeccable et de collaborations foisonnantes avec de grands noms de l’improvisation européenne, István Grencsó est un saxophoniste ardent, un héraut du free qui sait ce que liberté veut dire. Après avoir débuté sa carrière aux côtés de György Szabados, notamment dans l’orchestre Makuz, Grencsó s’est illustré avec son Kollektiva dont nous faisons ici régulièrement recension. Ses ensembles, incubateurs de jeunes talents et concentrés d’énergie, font la part belle à une grande rigueur rythmique et à une poésie omniprésente ; en témoigne sa collaboration avec Lewis Jordan. Rencontre avec une véritable légende.

- István, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis né en 1956 à Nyíregyháza, dans l’est de la Hongrie. J’ai d’abord étudié la flûte en particulier, puis je me suis tourné vers le monde des bois. Depuis 1982, je joue de la musique dans des ensembles organisés par moi-même et par d’autres.

- Vous êtes un saxophoniste puissant et lyrique, on cite souvent Julius Hemphill comme comparaison. Est-ce l’un de vos modèles ? Qui sont vos mentors dans le saxophone jazz ?

Dans ma jeunesse, mon attention s’est surtout portée sur la musique américaine, le jazz. Je peux citer trois musiciens qui m’ont influencé et dont j’aime toujours écouter la musique : Yusef Lateef, Rahsaan Roland Kirk et Jimmy Giuffre. Aujourd’hui, je m’intéresse surtout à la musique improvisée européenne.

- Vous êtes à la tête d’un orchestre de dimension variable, le Kollektiva. Comment se décide sa formule ? Est-ce que vous avez des musiciens que vous considérez indispensables ?

Ce qui me motive ici, c’est la sonorité de certaines compositions, c’est ce qui m’amène à prendre ces décisions. Il y a un certain nombre de musiciens, pour la plupart jeunes, avec lesquels j’aime travailler : ils comprennent, ressentent et contribuent de manière créative à amener une certaine composition au son.

- Vous avez notamment travailler avec Rudi Mahall, Peter Kowald ou Lewis Jordan. Comment se sont faites ces rencontres ? Comment concevez-vous vos œuvres ?

Peter et moi étions liés non seulement par la musique, mais aussi par l’amitié. Dans les années 80, il venait souvent à Budapest : c’est après son premier concert que nous avons joué de la musique ensemble et que nous sommes rapidement devenus de bons amis. Il a même soutenu mon premier album vinyle. J’ai un enregistrement de bonne qualité de notre musique de concert, qui n’a malheureusement jamais été publié en raison du désintérêt des éditeurs de musique de l’époque…

Rudi et moi nous sommes rencontrés via Budapest Music Center, ce qui nous a permis d’avoir plusieurs albums plutôt bons. C’était formidable de travailler avec lui et j’espère qu’il y en aura d’autres à venir. Parmi mes collaborateurs internationaux, je voudrais également mentionner Lewis Jordan et Barre Phillips : j’ai joué avec eux deux en concert cette année et j’ai aussi fait des enregistrements. J’ai beaucoup appris de tous ces grands musiciens.

- Vous travaillez avec des grands noms de la musique improvisée européenne ; avez-vous déjà songé à vous installer ailleurs qu’en Hongrie ?

Je l’ai fait quand j’étais jeune, sous le régime politique précédent, mais plus maintenant.

- Vous avez grandi dans un pays sous tutelle de l’URSS. Est-ce que ça a changé votre approche de la musique ?

Tout à fait. A cette époque, la musique dite free avait un certain caractère de protestation, de résistance. « Le système » ne savait pas vraiment quoi en faire. La musique free était sous stricte surveillance et parfois interdite. Il suffit de jeter un coup d’œil au nombre de disques publiés à l’époque… Très peu, même s’il y a eu des développements musicaux assez sérieux à ce moment précis.

- Rétrospectivement, comment jugez vous les années 80 et 90 dans votre développement artistique ?

Déjà au début, l’objectif était de jouer de la musique avec des idées et des sons particuliers. Je remercie Dieu de ne pas avoir été aspiré par la musique commerciale, divertissante, copiée, industrielle. Apprendre à connaître et plus tard travailler avec György Szabados m’a renforcé dans cette conviction

Il n’existe pas de jazz typiquement hongrois. Il y a du jazz joué par des Hongrois.

- Justement, quelle est l’importance de György Szabados dans votre histoire musicale ?

György Szabados est le pionnier de la musique improvisée hongroise. Bien sûr, il a également eu un impact immense dans le domaine de la musique composée. Ce fut un grand honneur d’être invité à jouer dans son septet. C’est à ce moment-là que mon parcours musical s’est décidé pour de bon !

Cette année, j’organisais un événement musical et estival créatif pour la quatrième fois : chaque mois d’août, nous nous retrouvons à Nagymaros, la ville de György Szabados et nous passons une semaine de créations avec de jeunes artistes dans ce cadre magnifique. Musique, littérature, beaux-arts, cinéma, photo, tout cela du point de vue de Szabados. Vous trouverez plus d’information sur notre page facebook.

- Parallèlement aux disques avec votre Kollektiva, vous rencontrez de nombreux musiciens, et notamment avec le pianiste Stefan Kovacs Tickmayer qui est davantage impliqué dans la musique contemporaine. Est-ce que les étiquettes musicales sont importantes ?

Pas pour moi. Mais cela pourrait être pratique pour beaucoup lorsque certains clichés internationaux sont liés à la musique… Stefan Kovacks Tickmayer et moi entretenons une relation très ancienne, qui est récemment devenue très fructueuse. J’ai également travaillé avec lui dans mon dernier projet musical.

- Comment expliquez-vous la profusion de musiciens hongrois ? Y-a-t-il un jazz spécifiquement magyar ?

Nombreux sont ceux qui étudient la musique et jouent d’un instrument, mais rares sont ceux qui créent des sons marquants et passionnants. Je ne suis pas vraiment d’avis qu’il existe un jazz typiquement hongrois. Il y a du jazz joué par des Hongrois.

- Comment jugez-vous la nouvelle génération de musiciens hongrois ? Est-ce aussi difficile aujourd’hui qu’à votre époque ?

Il y a un certain éveil, un certain intérêt chez les jeunes, mais l’ego et l’existence peuvent transformer l’exaltation en de singulières déroutes. J’espère que j’ai tort….

- Quels sont vos projets à venir ? Vos envies ?

Nous avons enregistré un album, Do Not Slam The Door ! avec Ken Vandermark en mai dernier : je passe actuellement mon temps à finaliser cette musique. L’album sortira chez BMC début 2019. Il s’agit d’une collaboration avec Ken Vandermark, Stevan Kovacs Tickmayer, Róbert Benkő (basse), Ernő Hock (basse), Szilveszter Miklós (batterie).
Je travaille actuellement sur du matériel « poétique » : certains de mes poèmes sont drapés dans une musique tranquille et sereine.
Mon désir est la simplicité….