Chronique

Ivo Perelman, Gordon Grdina, Hamin Honari

The Purity Of Desire

Ivo Perelman (ts), Gordon Grdina (oud), Hamin Honari (daf, tombak)

Label / Distribution : Not Two Records

Cet album fait partie de la salve de trois enregistrements publiés à l’occasion des trente ans de carrière discographique du saxophoniste.
Dans celui-ci, il a fait appel à l’un des joueurs d’oud les plus en vue de l’autre côté de l’Atlantique et à un percussionniste irano-canadien.

Dès les premiers instants, on sait qu’on sera dans un album différent des autres productions d’Ivo Perelman. On y est cueilli par des percussions, un daf, une sorte de tambourin iranien, joué par Hamin Honari. Ça fuse, ça pulse, avant que le saxophoniste propulse ses premières notes. Et il est d’emblée dans cette danse avec une joie évidente. Il scande, il balance, il répète à l’envi. Il fait chant avec une seule note, comme dans « Samba de uma nota só » (One Note Samba) d’Antônio Carlos Jobim. Cela tourbillonne, ça bouscule, ça laisse peu de place à Gordon Grdina. Ce dernier égrène ses premières notes dures, hiératiques, caractéristiques du jeu oriental de l’oud, en une forme d’accompagnement, puis il s’enhardit. Il rentre lui aussi dans cette danse joyeuse et donne à son jeu la fluidité de la mandoline. Le saxophoniste, en verve, retrouve ses sons suraigus, ses notes hors gamme, ses dérapages. Puis c’est comme une chansonnette simple, qu’il répète, qu’il déforme, qui amplifie cette frénésie. Ses suraiguës, ses amples vibratos ayleriens, ses tourbillons accentuent encore cette fièvre avant le lyrisme un peu apaisé des dernières notes. C’était « The Purity of Desire », ce thème qui donne son nom à l’album.

Dans la pièce suivante, « Bridge to the Soul », l’interaction entre l’oud et le sax est distante, chacun creusant un peu son propre chemin. Cela permet de savourer les notes lourdes et un peu graves des cordes, par instants un peu acides, véhiculant parfois des parfums orientaux. Un chemin tortueux et calme comme le début d’une danse, qui instille un début d’hypnose. Le sax nous promène sur des segments mélodiques… mais à la manière du Brésilien, avec un mélange de vibratos lyriques et de legatos vagabonds. Puis ce dernier retrouve le désir d’une danse sur une seule note, répétée, scandée et la pièce change de route. Gordon Grdina et Hamin Honari s’y engouffrent, offrant un tremplin fantastique aux tourbillons labyrinthiques du sax, des pulsations de plus en plus entêtantes menant le chant vers un final comme exténué.

Cet aspect festif court tout le long de l’album, mais il est souvent précédé par des solos amples, voilés, feutrés, languissants ou caressants, dignes des grands maîtres du swing … les microtonalités en sus. C’est qu’Ivo Perelman aime à jouer sur toutes les variables du son, comme un garnement surdoué.

Il faudrait citer toutes les pièces, mais c’est peut-être « The Joy That Wounds » qui condense cette virtuosité. Avec un florilège de crépitements de toutes sortes à l’oud et au tombak (un zarb), Gordon Grdina trouve l’occasion de tresser une interaction serrée avec le saxophoniste et de propulser le groupe. Notre Brésilien, quant à lui, va passer d’un son suave et enjôleur aux interjections suraiguës, puis il répète une même note dans une danse un peu folle, frisant l’hystérie, et transfigure en passant la « Danse du Sabre ». Moment étourdissant.

« Le changement dans la continuité » était un slogan de campagne politique, dans lequel la part de changement était bien mince. Ici, la continuité c’est bien évidemment le phrasé, le son, le lyrisme, les accents du saxophoniste. C’est souvent aussi les partenaires qu’il se choisit (qu’on songe à Matthew Shipp) ou sa passion des cordes, ici encore. Mais Ivo Perelman ne cesse de nous surprendre. Peut-être aime-il à se surprendre lui-même : il lui suffit du hasard d’un discours, d’une couleur, d’une situation, d’une rencontre recherchée pour son potentiel, pour que l’inattendu survienne et nous dessine le sourire du plaisir.