Chronique

J.-P. Hervé, Bruno Tocanne

Passeur de temps

J.-P. Hervé (g), Bruno Tocanne (perc)

Un duo guitare-batterie ne peut se concevoir sans un travail sur le plein et le vide, le dialogue entre son et silence. Le bien nommé Passeur de Temps en est une vivante illustration.

Jean-Paul Hervé et Bruno Tocanne ne craignent pas, en effet, de laisser respirer leur musique. L’espace qu’ils nous laissent est une invitation à partager leur expérience du temps [1] ; à nous d’être assez disponibles pour embarquer à leurs côtés.

Car cet album, qu’on se le dise, ne s’écoute pas d’une oreille distraite. Le jeu de (neuf) pistes auquel nous convie le duo passe par des instants rock et des chemins blues (« Pensée pour L », « Chat non plus »), fait un tour par la Renaissance pour mieux partir en improvisation libre (« Gargavotte ») et revient par un be-bop demi-manouche (« Manképuksa »)…

Le duo fonctionne à pleine écoute, à pleine présence.

Jean-Paul Hervé déchire Brel (un « Ne me quitte pas » dévoré de l’intérieur), taquine Pat Metheny, s’aventure en terre contemporaine (« Lost in Time », minimal avec un Tocanne tout en balais - ou presque - tandis que « Passeur de temps », un découpage au scalpel), salue au passage Jimmy Page et Jimi Hendrix tout autant que John McLaughlin. L’étendue de ses registres sonores impressionne ; l’attaque est toujours incisive et le son tranchant.

Bruno Tocanne, batteur graphique, dessine ses interventions autant qu’il les joue. Le parti pris d’une batterie « classique » (caisse claire, grosse caisse, toms et cymbales pour l’essentiel) lui donne un son dépouillé comme un fusain. Qu’il se place en consonance avec la guitare (comme dans « Faut l’chlore ») ou en contrepoint (« Passeur de temps »), voire en concurrence avec celle-ci (« Gargavotte »), sa pâte (patte ?) sonore est précise et exacte. Autant de raisons pour écouter avec attention ce qu’ils ont à nous dire, caché parfois dans une seconde de silence, ou un moment de tension extrême.

Un dernier mot pour la pochette du CD, bel objet où se rencontrent l’art et la matière. Comme la musique qu’elle renferme…

par Diane Gastellu // Publié le 1er janvier 2008
P.-S. :

Production : Compagnie du Facteur Soudain - imuZZic
Distribution : Petit Label

Pour écouter quelques extraits de l’album

[1Est-ce un hasard ? Un essai de la philosophe Sylviane Agacinski s’intitule Le passeur de temps : modernité et nostalgie