Chronique

Jacques B. Hess

Chroniques 1966-1971

Label / Distribution : Alter Ego Editions

Les lecteurs attentifs de Citizen Jazz - mais en existe-t-il d’autres ? - se rappellent qu’en décembre 2011 Jacques-Bernard Hess a quitté ce monde. J’avais alors esquissé ici une courte bio-bibliographie, et indiqué qu’on attendait avec impatience l’édition d’un certain nombre de ses écrits, réunis par lui-même et par sa famille, et préfacés de son vivant par Lucien Malson. Grâce aux efforts de tous et à la perspicacité de Joël Mettay (Alter Ego Editions), voici l’issue heureuse qu’on attendait, un bon livre de 225 pages, bien imprimé, agréable à lire, vivement conseillé - mieux, indispensable par les temps qui courent, et qui auraient fini par faire perdre patience à notre ami tant ils sont pétris de bêtise galopante.

Si l’on excepte quelques textes parus dans les années cinquante dans Jazz Hot, repris ici en fin de volume, et quelques autres de 1966 et 1985 dont l’inénarrable « J’étais l’interprète de Bob Dylan » (Rock & Folk n° 0, 1966), les écrits datent ici des années 1966 à 1971 et ont été publiés à l’origine dans Jazz Hot puis Jazz Magazine. D’abord titrés (sur le modèle de François Mauriac, dont il aimait se moquer aimablement) « Le Bloc-Notes », il furent nommés « Hess-O-Hess » dans la version Jazz Magazine, mais c’était la même démarche. Quant aux raisons de cette migration d’un magazine à l’autre, il faut les trouver dans l’épisode « Gauche Prolétarienne » de Jazz Hot, le nouveau rédacteur en chef de l’époque (Michel Le Bris) n’ayant sans doute pas trouvé la liberté de ton de Jacques conforme à la ligne. D’où le départ pour un abri plus sûr, et le « SOS » allitératif qui s’ensuivit…

Rester libre. On peut partir de là, et s’y tenir. Déporté politique à Buchenwald, de formation philosophique, intelligent en diable, maîtrisant superbement la langue (et pas seulement la sienne), Jacques-Bernard Hess ne pouvait supporter la bêtise et ses dérivés. D’où un ton souvent badin, dans la lignée de Boris Vian - avec un souci encore plus grand de la distance, qui ne se déprend que lorsque les enjeux deviennent graves (racisme sous toutes ses formes). A ce moment-là, Jacques sait mettre du poids dans les mots. Ces chroniques fonctionnent toutes de la même façon : sur le modèle des revues de presse (il lisait fort bien l’anglais, qu’il traduisait remarquablement) auxquelles il ajoutait tout ce qui se présentait à lui dans le champ de ses lectures et de sa vie professionnelle, et qui lui semblait digne de remarques.

C’est ainsi : aucune note de lecture ne peut remplacer la délectation de l’ensemble, et le plaisir d’un parcours complet. Pour aiguiser l’appétit, on ira par exemple page 37 lire « Un soir, chez Bolling… ». Jacques-B. Hess est tout entier là, dans cette façon de nous faire imaginer un contrebassiste sans contrebasse, les doigts posés sur le vide, devant un parterre étonné et un chef d’orchestre furibard. Daniel Humair a su dire comment la fréquentation de Jacques au cours d’une tournée était une des choses les plus réjouissantes qu’il lui ait été donné de vivre. Le sujet « Hess-O-Hess » appelle à l’aide, mais il est heureux, dans sa plume, dans ses mots, dans son sourire. Il l’est, et il le reste.