Jaimie Branch revient au nid
La trompettiste américaine retrouve Chicago pour une soirée décapante.
L’Empty Bottle est devenu un club emblématique du renouveau du free jazz et des musiques improvisées à Chicago lorsqu’au milieu des années 90 il proposa une programmation hebdomadaire et un festival annuel. Aujourd’hui, de tels concerts s’y font rares. Et si la trompettiste Jaimie Branch a baigné dans ce milieu jusqu’à son départ pour New York en 2012, sa musique a pris depuis des tournants si singuliers que l’on peut douter qu’elle eût été invitée à se produire à cette époque.
Le 20 décembre, la tournée de Jaimie Branch faisant la promotion de son dernier album Fly or Die II : Bird Dogs of Paradise (International Anthem) y fait un arrêt devant un parterre où coexistent enthousiastes de l’avant-garde de la première heure et fans de Kamasi Washington. Son groupe comprend aujourd’hui le batteur Chad Taylor, le contrebassiste Jason Ajemian—deux musiciens ayant vécu un temps à Chicago—et le violoncelliste Lester St. Louis qui a définitivement remplacé Tomeka Reid.
Le répertoire n’offre pas de surprise, car le groupe joue l’album dans sa totalité en respectant scrupuleusement l’ordre des morceaux. Par contre, le fait que Branch ait ajouté des talents de chanteuse à son CV permet à sa déjà forte personnalité de s’exprimer davantage et de se donner en spectacle. Diana Krall peut toutefois dormir tranquille. Avec sa voix rauque ou braillarde, la trompettiste ne cherche pas à brosser l’auditeur dans le sens du poil. Elle utilise son « instrument » pour donner voix à ses sentiments, notamment sa frustration et sa colère, sur la situation politique actuelle aux USA.
Sur son nouvel album, Branch incorpore une plus large palette de rythmes venus des quatre coins de la planète. En conséquence, le rôle joué par Taylor est déterminant. Il est déconcertant d’aisance alors qu’il décline des grooves reposant sur des mesures brésiliennes ou caribéennes. La trompette n’est pas en reste lorsqu’elle s’invite avec les accents d’un orchestre de mariachis. Ce concert est l’occasion de faire un autre constat : Ajemian et St. Louis forment aujourd’hui un tandem formidable ; le jeu des deux musiciens est tellement imbriqué qu’il arrive à ne faire qu’un.
« Twenty-Three n Me, Jupiter Redux » est typique des morceaux à géométrie variable dont Branch a le secret et qui peuplent son dernier album : se côtoient ou se succèdent des tambours tribaux, une simple mélodie, des passages free ou un groove insistant. La trompette se faire tour à tour planante ou rugissante. Et on frôle parfois la déconnade quand Ajemian prend un solo plein d’humour et que ses trois compères viennent se joindre à lui en poussant des meuglements à l’aide de leurs instruments.
Se trouvant à Chicago, Branch a pu inviter sur scène deux musiciens présents sur l’enregistrement. Il s’agit du percussionniste Dan Bitney qui se saisit d’un tambourin pour donner encore plus de rythme à « Nuevo Roquero Estéreo », le morceau le plus festif de la soirée, et du chanteur Marvin Tate sur « Prayer for Amerikkka pt. 1 & 2 » et « Love Song », ce dernier voyant la trompettiste encourager le public à reprendre en chœur le vers principal de la chanson et amener le concert à sa juste conclusion.